Riad Sattouf : "Si j’avais été dans la classe d’Esther, elle ne m’aurait absolument pas parlé"
Riad Sattouf, auteur et dessinateur de BD, sort un nouveau "Cahier d'Esther", celui des 14 ans de l'ado.
Elodie Suigo : Riad Sattouf, vous êtes auteur de bande dessinée, réalisateur, primé dans les années 2000 avec des BD comme Les pauvres aventures de Jérémy ou encore La vie secrète des jeunes, publiée pendant neuf années dans Charlie Hebdo. Vous avez également réalisé Les beaux gosses, long-métrage qui a reçu un César du meilleur film. Depuis 2014, vous signez la série autobiographique de BD L’Arabe du futur, qui raconte votre enfance en Libye et en Syrie. Et depuis 2015, vous avez donné naissance aux Cahiers d’Esther. Un pari fou puisque vous racontez la vie d’une jeune fille, de ses 10 ans à ses 18 ans, Soit neuf albums prévus, un par année scolaire. Aujourd’hui même paraissent Les cahiers d’Esther, histoire de mes 14 ans. Cette série est rapidement devenue un immense succès. 650 000 exemplaires vendus pour les quatre premiers tomes et traduits en neuf langues. Les Cahiers d’Esther sont-ils tout simplement le portrait d’une époque ?
Riad Sattouf : C’est le portrait d’une jeune fille qui existe réellement. J’essaie de la suivre au plus près et j’essaie de lui donner la parole. C’est vrai que c’est une jeune fille qui a une vie assez différente de la mienne, dans le sens où c’est une jeune fille qui vit dans une famille équilibrée. Ces parents ne sont ni pauvres, ni riches, elle habite en France. Entre guillemets, c’est une jeune fille sans histoire et ça m’intéressait de savoir quel regard elle portait sur le monde, sur les garçons, sur la culture, la politique etc... et comment surtout, ses points de vue allaient évoluer au fil des années.
Donc ça veut dire que vous êtes un garçon plein d’histoire alors…
Disons que quand j’ai commencé à écrire Les Cahiers d’Esther, j’étais en train d’écrire le premier volume de L’Arabe du futur, où je racontait mon enfance en Syrie. Et quand j’ai revu cette jeune fille, qui est la fille d’un couple d’amis à moi, je me suis dit, Mais qu’est-ce qu’elle est différente de ce que j’ai pu être à mon époque ! Je me suis dit que ce serait intéressant de voir ce qu’il peut y avoir de commun, de différent entre deux enfants à 30 ans d’écart.
En 2019, vous avez dessiné la couverture représentant le linguiste Alain Rey, pour l’édition 2020 du Petit Robert de la langue française. Une langue française qui évolue positivement ? Ou pas ? Avec un vocabulaire d’ado très présent dans Les cahiers d’Esther… On découvre en dialogue des "Je m’en bas les c..." , des "Ouais gros !". Il faut quand même être à la page…
Comme je l’ai beaucoup entendue parler, j’étais toujours aux aguets et c’est intéressant de voir comment un mot peut apparaître, comment s’il se met à être beaucoup utilisé. Et des mots qu’on pensait totalement ringards reviennent aussi. Par exemple, j’ai entendu Esther l’autre jour me dire qu’elle était allée faire du lèche-vitrine avec ses copines. Et en fait, "lèche vitrine", ça fait longtemps que je ne l’avais pas entendu. Je ne pensais pas que des gens pouvaient l’utiliser encore. C’est toujours intéressant de voir comment la langue française est vivante.
Comment étiez-vous, enfants, Riad Satouf ?
A l’âge d’Esther, j’étais quelqu’un d’assez invisible. J’étais timide, mais sans trop l’être non plus. Je n’étais pas spécialement brillant, Pas spécialement nul non plus. J’adorais les jeux vidéo, c’était l’aube de l’informatique. Je pense que si j’avais été dans la classe d’Esther, elle ne m’aurait absolument pas parlé !
Vous avez vécu entre la Libye, la Syrie et la France… La France, la Bretagne ! Vous parlez de politique aussi à travers Esther. Comment vivez-vous actuellement l’affaire Georges Floyd et ce qui est en train de se passer dans le monde entier ?
Je suis ça avec beaucoup d’émotion et j’en parle beaucoup avec Esther, justement. Elle, elle a appris cet événement sur les réseaux sociaux. C’est toujours étonnant de voir que les jeunes de sa génération passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, comme source d’information principale. Que ce soit en positif ou en négatif mais en tout cas, c’est toujours étonnant de voir, avant que ça n’arrive, ce qui allait se passer : les réseaux sociaux ne parlaient que de ça. Les gens ne parlaient que de cette vidéo atroce où cet homme se fait assassiner alors qu’il n’oppose aucune résistance. Et le regard absolument effrayant de ce policier... On sentait que ça allait évidemment exploser. C’est incroyable à suivre !
Vous avez vécu le racisme vous-même ?
J’ai beaucoup voyagé. J’ai passé mon enfance en Libye et en Syrie et la France est certainement le meilleur pays que j’ai jamais vu. L’endroit où j’ai subi une forme de racisme, en tout cas une forme de xénophobie extrêmement forte, c’était en Syrie, dans le village. C’est ce que je raconte dans ma bande dessinée L’Arabe du futur. Je venais de l’étranger, j’étais totalement différent des autres enfants. En France, j’avoue que je n’ai jamais été empêché d’aucune sorte à cause de mon patronyme. Alors, peut-être uniquement parce que mon nom est juste un peu bizarre. Il a une tonalité comique : Satouf fait plus rigoler qu’autre chose ! Et j’ai plutôt souffert de moqueries dans ce sens là que de réel racisme.
Fier aujourd’hui du succès que vous avez avec Les Cahiers d’Esther ?
Je suis totalement obsédé par les livres et par la bande dessinée. Je veux continuer mes histoires et essayer de fournir des livres à mes lecteurs. Ils n’arrêtent pas de me les demander sur mon compte Instagram : "Quand est-ce que sort la suite, quand est-ce que sort la suite ?" et j’avoue que ça me rappelle quand j’étais moi-même jeune lecteur et que j’attendais la suite de bandes dessinées ou de livres que j’adorais et qui mettaient beaucoup de temps à arriver.
Ça s’appelle Les Cahiers d’Esther histoire de mes 14 ans, c'est signé Riad Sattouf et c’est paru chez Allary édition.
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