Le monde d'Elodie. Inna Modja : "Faire revenir le rêve africain en Afrique"
L'actrice et chanteuse malienne est dans le documentaire "The great green wall", un projet de l'Union Africaine pour reverdir la bande du Sahel.
Elodie Suigo : Inna Modja, actrice, mannequin, chanteuse malienne, militante aussi, née à Bamako. Nous sommes au troisième jour de ce déconfinement, comment la jeune maman que vous êtes a vécu cette crise sanitaire ?
Ça a été un peu compliqué, parce que j’ai un tout petit bébé, qui avait à peine quelques mois quand ça commençait. On a un peu peur et du stress, mais j’avais envie d’un environnement qui soit pour lui comme si tout allait très bien...
Vous êtes à l’origine d’un fabuleux documentaire, qui s’appelle The great green wall, la grande muraille verte. C’est un projet ambitieux de reverdir la bande du Sahel sur 8000 kilomètres d’une bande qui va du Sénégal à l’Éthiopie, au sud du désert du Sahara. Ce projet, c’est un cri d’alerte ?
The great green wall est un projet qui existe depuis 12 ans maintenant. C’est l’Union africaine qui est à l’initiative de ce projet. J’ai commencé à travailler dessus il y a trois ans et demi. Les Nations Unies m’ont approchée et je me suis dit "Wow ! C’est vraiment l’opportunité pour moi d’être engagée sur le terrain". Ça fait une dizaine d’années que je suis activiste contre le réchauffement climatique en Afrique. Mais là, ça me donnait l’opportunité de vraiment travailler au sein d’un projet qui est ambitieux, qui pourra vraiment traiter différentes problématiques. Le projet en lui-même m’a interpellée et le documentaire est venu tout de suite après.
Ce documentaire devait sortir pendant le confinement. Il est suspendu aujourd’hui jusqu’à la réouverture des salles de cinéma. Dans ce documentaire, on découvre ce parcours, parce que vous allez faire tout le chemin de cette muraille verte... On en est où aujourd’hui ?
C’est une discussion qui est sur la table désormais. On espère que d’ici 2030, la grande muraille verte sera achevée. Elle part du Sénégal et va jusqu’à Djibouti sur 8000 km et des millions d’hectares à reverdir, à planter, à régénérer etc... pour éviter l’avancée du désert et permettre aussi aux communautés qui vivent là de pouvoir rester chez elles.
Vous êtes militante depuis très longtemps, Inna, c’est difficile de faire bouger les mentalités ?
Faire bouger les mentalités c’est la chose la plus compliquée ! J’ai commencé à être activiste pour le droit des femmes, contre l’excision, quand j’avais 19 ans. L’aiguille bouge lentement, surtout quand il s’agit des femmes, du corps des femmes, de leurs droits. Je me suis intéressée aux changements climatiques en Afrique il y a une dizaine d’années parce que je viens du Sahel, je suis née et j’ai grandi dans le Sahel et j’y ai vu les choses bouger : j’ai vu les températures monter, j’ai vu les régions s’assécher au fur et à mesure. Donc naturellement, j’ai eu envie de m’investir.
Dans ce documentaire, il y a un dicton qui fait froid dans le dos, qui en dit long sur le pourquoi du comment des populations qui migre évidemment c’est "Barça ou Barsac", ça veut dire "Vas en Europe ou meurs en chemin"...
Le rêve africain, pendant très longtemps, a été en dehors du continent. C’était soit aller à Barça -Barça c’est Barcelone en Espagne-, ou Barsac, la mort. J’ai passé beaucoup de temps à Agadez, dans le désert au Niger, où il y a beaucoup de jeunes qui se retrouvent là-bas, pour essayer de traverser le désert et arriver en Libye pour ensuite faire la traversée de la Méditerranée. J’étais dans un camp de réfugiés où je donnais des ateliers de musique et donc, j’avais l’occasion de parler avec beaucoup de ces jeunes. La force du rêve leur a permis de traverser toute l’Afrique dans des conditions épouvantables parce qu’ils pensaient qu’en arrivant en Europe, tous leurs problèmes seraient résolus. Pour eux, c’est un eldorado où ils pourront enfin avoir une vie décente et s’occuper de leur famille restée au pays. L’idée, c’est de faire revenir le rêve africain en Afrique et de créer des opportunités pour les jeunes Qu’ils n’aient pas besoin de mettre en péril leur vie. Pouvoir juste avoir une vie décente en fait. Arrêter de survivre au jour le jour.
Dans ce documentaire, on vous entend chanter, Inna, vous utilisez votre voix pour faire passer des messages…Et vous avez d'ailleurs mis à profit ce documentaire pour faire un nouvel album…
On connaît beaucoup l’Afrique par sa musique et je me disais qu’à travers la musique on pouvait faire passer tous les messages, des plus durs aux plus softs. Et je suis d’abord musicienne avant tout donc, le long du voyage, je suis allée à la rencontre d’artistes engagés qui parlent à une communauté bien particulière et j’avais envie qu’ils utilisent leur voix avec nous pour pouvoir mettre en lumière, non seulement les problématiques, mais aussi la beauté de leur culture.
Comment imaginez-vous ce nouveau monde ?
Quand on traverse des difficultés comme ça, on a envie de se serrer les coudes un peu plus. Et puis, on a vu le personnel médical qui s’est mobilisé, qui s’est battu au péril de sa vie pour sauver des vies et ça a inspiré beaucoup de gens. Donc, la combativité dont on a fait preuve nous a changés et va nous permettre de modifier notre société. C’est une tragédie, mais j’espère qu’on va en tirer quelque chose de constructif et qu’on va avancer en faisant plus attention aux autres
Merci Inna Modja. The great green wall, Ce sera au cinéma dès que les salles rouvriront.
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