"Une collaboration historique" pour le film "Tatami", comme un appel à la paix
Zar Amir Ebrahimi est une actrice classée super star. Elle est née à Téhéran, en Iran. Elle a reçu le prix d'interprétation à Cannes en 2022 pour son rôle dans le film Les nuits de Mashhad d'Ali Abbasi. En 2008, elle s’est exilée en France après avoir été condamnée à la prison et à 100 coups de fouet en Iran à la suite du vol d'une vidéo intime la concernant. S'exiler était un acte de résistance, de survie. Depuis aujourd'hui, Zar Amir est devant et derrière la caméra dans Tatami qu'elle a réalisé avec le réalisateur israélien, Guy Nattiv. C'est un film coup de poing, sublime, douloureux, un cri du cœur et d'espoir. C’est l'histoire d'une judokate et de sa coach participant aux championnats du monde. Leila, l'athlète et Maryam, la coach sont invitées, sous la menace, à quitter la compétition pour ne pas avoir à affronter une adversaire israélienne.
franceinfo : Tatami est un film qui frappe très, très fort. C'est un regard qui est violent, qui est réaliste sur les conditions des femmes iraniennes dans le cadre de compétitions sportives. Vous l'avez réalisé avec un réalisateur israélien. Comment avez-vous eu envie de collaborer, de proposer cette image qui est tirée de plusieurs histoires vraies ?
Zar Amir : L'idée originale vient de Guy. J'étais attachée à ce projet en tant qu'actrice pour interpréter le rôle de la coach et puis comme j'avais pas mal d'idées à rajouter pour le rendre beaucoup plus profond, on est devenu assez proches. Un soir, il m'appelle et m'offre cette collaboration. C'est là où j'ai pris mon temps pour réfléchir à comment deux réalisateurs, avec leur ego, leur vision, pouvaient travailler ensemble. Une Iranienne et un Israélien, c'était plutôt une collaboration historique. Je ne connaissais pas vraiment Guy, ses pensées derrière tout ça. On était assez proches sur tout ce qui était artistique et esthétique, mais aussi sur notre vision de la politique du monde, surtout au Moyen-Orient et de tout ce qu'on vit, nous deux.
Comment vous y retrouvez-vous dans ce film qui traite des femmes iraniennes ? Vous êtes née à Téhéran, vous avez dû quitter votre pays, mais que représente l'Iran aujourd'hui et quelle est votre vision des femmes et de l'empêchement qu'elles ont au quotidien ?
Cela fait presque 17 ans que j'habite en France. De plus en plus, je me sens française, mais je me sens aussi iranienne. Je commence à être assez fière aussi de cette génération de personnes, je ne veux pas que parler des femmes, mais surtout des femmes... Je pense qu'elles ont tellement subi l'oppression et cette pression de la part de ce gouvernement, qu'aujourd'hui elles sont toutes une source d'inspiration pour le monde entier et pour moi aussi. Ça me donne de l'espoir. Je pense qu'elles sont capables de changer leurs vies. Elles sont déterminées.
"Il y a des femmes iraniennes qui sont en train de souffrir en prison, elles se battent toujours pour leur liberté. Je suis assez fière et elles m'inspirent beaucoup."
Zar Amirà franceinfo
Vous êtes arrivée en France en 2008. On vous avait volé une vidéo intime. Vous avez été condamnée à une peine de prison et à 100 coups de fouet. C'était un acte fort de venir en France ? C'était aussi une façon de lutter contre ça ?
Oui. La réalité c'est que je ne voulais pas du tout partir. Je pouvais partir le soir même quand j'ai eu cette nouvelle, mais j'ai décidé de rester et de me battre pour ma vie, ma carrière, mes amis, mes collègues, mes parents, pour tout le monde. Au bout d'un an, j'ai très bien vu que je ne pouvais plus travailler, avec le tribunal. Je me disais que j'allais finir en prison et recevoir des coups de fouets. C'est tellement moyenâgeux que je ne pouvais même pas m'imaginer dans ces conditions. Je pense que pour tous les gens exilés qui sont partis pour avoir cette liberté de se battre et de s'exprimer, je crois qu'il y a toujours une sorte de regret. On se dit toujours qu'il fallait rester, qu'il fallait essayer là-bas, mais pour certaines personnes, c'est impossible. Finir en prison, ça ne sert à rien, il faut sortir. Moi et pas mal d'autres, surtout dans mon milieu, des cinéastes, portons au moins la voix des gens qui sont là-bas.
"Il faut être dans la paix. Il faut être amis, il faut se comprendre, il faut se découvrir. Il faut laisser cet espace."
Zar Amirà franceinfo
C'est une solution, le sport ou même le cinéma pour faire avancer les choses ?
Il faut être plutôt main dans la main, les bras dans les bras et essayer de ne pas être manipulée par ce pouvoir. S'il n'y avait pas ce conflit dans mon film, Tatami, entre Maryam et Leila, comment ce pouvoir pourrait exister en fait ? Et c'est ça l'histoire au Moyen-Orient. Je ne suis pas politicienne, mais avec tout ce que j'ai vécu à 40 ans, je peux dire qu'ils ont besoin de ce conflit pour exister, les deux. Et nous, il faut qu'on soit sages, qu'on soit ensemble. Moi je déteste passer des messages avec mes films, mais s'il y a un message dans cette collaboration avec Guy Nattiv qui habite aujourd'hui aux États-Unis, c’est qu’on est tous les deux critiques envers nos gouvernements.
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