"La philosophie nous permet d'être d'abord vivants et ensuite libres" : Michel Onfray décrypte l'âme humaine à travers le temps dans "Anima - Vie et mort de l'âme"
Michel Onfray est philosophe, essayiste, polémiste et l'auteur de nombreux ouvrages devenus des succès comme La sculpture de soi - La morale esthétique ou encore la série Contre-Histoire de la philosophie qui a été diffusée sur France Culture, "L'ordre libertaire - La vie philosophique d'Albert Camus. Il y a 20 ans, à la suite de l'accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle, en 2002, il a tout quitté. Il a rendu son tablier d'enseignant pour se lancer dans une aventure incroyable, celle de créer une université populaire pour lutter contre les idées du Front National. Ses interventions sont choisies et traduisent sa pensée, suscitant parfois et souvent de nombreuses controverses. Il vient de publier Anima - Vie et mort de l'âme – De Lascaux au transhumanisme aux éditions Albin Michel.
franceinfo : Votre nouvel ouvrage : Anima porte un sous-titre bien visible Vie et mort de l'âme. Que signifient cette phrase et ce mot "âme" pour vous ?
Michel Onfray : Je pense que l'âme est une construction et qu’au fil des siècles, on voit bien comment les hommes préhistoriques ont pu la penser d'une certaine manière, là, je suis dans les conjectures bien sûr, mais après on a Sumer, Babylone, les Égyptiens, la Grèce, Rome, l'Europe, et puis aujourd'hui Elon Musk et le transhumanisme. Donc l'âme existe bien sûr, mais ce n'est pas la même chose suivant que l'on s'adresse à Épicure, à Descartes, à saint Augustin, à Schopenhauer, à Nietzsche, ou encore à celle d'Elon Musk. Ce dernier pense que notre âme, c'est l'ensemble des datas que nous laissons derrière nous et donc on peut numériser les datas et les matérialiser. Il y a une âme-machine pour Elon Musk et c'est intéressant de voir que si c'est une âme-machine, on peut en faire pas mal de choses. Mais ce sera l'objet d'un autre livre.
Vous aviez, à peu près 20 ans, quand vous avez craqué pour la philosophie ?
Non, vers 14, 15 ans, quand je suis sur le marché d'Argentan, où une dame vend des livres pas très chers et voit que j'en consomme beaucoup, que je fais des échanges. Je lis de manière un peu sauvage, un peu comme le Roquentin de La nausée de Jean-Paul Sartre, je suis un autodidacte. Mon père était ouvrier agricole, ma mère femme de ménage, donc on lit tout et n'importe quoi. Je lis de la sociologie, de la poésie, de la psychanalyse, de la philosophie. Je découvre Nietzsche, Marx et Freud. Je fais de la philo en classe terminale, j'ai 16 ans. Et puis à 17 ans, je rentre à la fac et là, je découvre mon vieux maître Lucien Jerphagnon et là, j'ai un coup de foudre pour lui et l'enseignement qu'il nous donne, qui était à l'époque un cours sur Lucrèce, grand matérialiste par devant les dieux !
On se rend compte à quel point la lecture vous a permis justement d'évoluer, de vous construire à un moment donné où vous n'aviez plus forcément foi en la vie. Ce mot 'foi' est important parce que c'est vraiment le pensionnat qui vous procure un rejet, une envie de faire les choses différemment. La lecture vous a sauvé ?
Ah oui. Mon enfance n'était pas terrible. Je prenais des coups etc. J'ai été placé dans un orphelinat dans lequel j'arrive à dix ans et en ressors à 14 pour rentrer dans une pension jusqu'à mes 17 ans. Mais effectivement, quand je me retrouve dans ce milieu violent, brutal, avec des prêtres pédophiles, c'est-à-dire avec la crainte qu'il nous arrive quelque chose... J'étais chez les salésiens, pas du tout chez les jésuites. Chez les jésuites, on aurait fait probablement du grec, du latin, un peu d'hébreu, enfin on aurait aimé les livres et la culture. Là, chez les salésiens, on veut avoir des enfants à qui ont fait faire du sport à haute dose et puis, il faut qu'ils aient un "métier entre les mains", selon l'expression consacrée. On voulait que je sois tourneur-fraiseur. Il y avait une espèce de phallocratie terrible du genre : "Lire un livre, c'est être un pédé", il y a cette espèce de brutalité au quotidien et je découvre la formidable puissance de la littérature.
Le goût de la lecture est venu avec Ernest Hemingway et son livre ‘Le vieil homme et la mer’. On rentre dans ce livre et d'un seul coup, on sort du monde dans lequel on se trouve. À ce moment-là, je découvre effectivement le monde fascinant des livres et donc de l'écriture.
Michel Onfrayà franceinfo
À dix ans déjà, j'achetais un petit carnet jaune et puis je racontais une histoire jusqu'au bout. J’ai saturé ce petit carnet. Donc oui, les livres m'ont sauvé.
Ce qui ressort, en tout cas, c'est que l'âme permet d'aller chercher la liberté. Est-ce que ce n'est pas ça le sens de la vie ?
Bien sûr, vous avez raison, cette idée que la liberté n'est pas donnée mais qu'elle est à conquérir. J'aimerais qu'aujourd'hui on puisse donner aux enfants des classes modestes exactement les chances que j'ai pu avoir. Père, ouvrier agricole, mère, femme de ménage, c'était peu probable que je me retrouve dans votre studio et que j'écrive des livres et que ce soit publié. Qu'est-ce qui s'est passé ? Il s'est passé que j'ai rencontré des gens. J'ai rencontré des instituteurs, des gens qui m'ont appris à lire, à écrire, à compter, à penser. La vieille école, je dirais. Et c'est pourquoi j'ai créé l'Université populaire en disant : les chances que j'ai pu avoir, je ne pense pas que la société vous les donne aujourd'hui. Eh bien, allons-y, créons un endroit où le savoir sera distribué bénévolement et gratuitement.
Comment vous vous définissez d'ailleurs ?
Je reste un homme de gauche, contrairement à ce que beaucoup peuvent imaginer.
Beaucoup disent que vous êtes d'extrême-droite, en tout cas que vous touchez à la droite et à l'extrême-droite.
Moi, je suis toujours resté du côté de la gauche de Cosette et de Fantine. Je suis étonné que des gens qui soient passés du côté des Thénardier, nous disent que leur gauche est la seule gauche. J'ai dit beaucoup de choses contre tous les gens du pouvoir. Simplement, les gens oublient. Alors, si vous voulez un mot, moi je suis 'populiste'. Cette insulte ne me gêne pas du tout parce que j'ai le souci du peuple et je crois que les hommes politiques n'ont pas le souci du peuple, ils s'en servent et puis quand ils sont au pouvoir, ils oublient que le peuple est là et puis après ils le re-séduisent pour pouvoir s'en servir etc.
Que les gens de pouvoir ne m'aiment pas, ils ont bien raison parce que je ne les aime pas beaucoup non plus.
Michel Onfrayà franceinfo
Pour terminer, "Philosopher, c'est sauver son âme", c'est ce que disait Platon. Vous le pensez ?
Pour moi, ça n'est que ça. Moi qui m'intéresse à la philosophie morale et particulièrement à la philosophie existentielle, oui, je pense que la philosophie, c'est ce qui sert à, pas forcément à sauver son âme parce que sauver de quel péril et pourquoi et comment ? mais à la construire, à la structurer, la fabriquer pour qu'elle nous permettre d'être d'abord vivants et ensuite libres.
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