"L'écriture me console" : Michèle Halberstadt déroule le fil de son histoire familiale dans "Née quelque part"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, la productrice et écrivaine Michèle Halberstadt.
Actrice, productrice, scénariste, écrivaine, Michèle Halberstadt publie Née quelque part aux éditions Albin Michel. Dans cet ouvrage, elle remonte le fil de l’histoire familiale. Elle découvre au fil de ses recherches un Halberstadt, issu d'une famille différente. Ce photographe est marié à la fille du psychanalyste Freud. Ce livre rend surtout hommage à son père décédé.
Elodie Suigo : Le nom Halberstadt va s'éteindre avec vous puisque vous êtes la dernière des Halberstadt. C'est ça le point de départ, d'avoir une forme de tristesse ?
Michèle Halberstadt : Oui. La tristesse ne m'a effleurée que quand mon père est mort. D'un seul coup je me suis dit : "Oui, j'ai ce flambeau à porter et après moi il n'y a plus rien. D'où vient ce nom ?" Ce nom dont il m'a toujours dit qu'il n'y avait qu'une seule famille dans le monde. Comme il n'y a qu'une seule famille, le jour où on m'a dit qu'il y avait un Halberstadt un peu connu, qui était photographe, notamment celui de Freud et qu'il avait épousé sa fille, je me suis dit : "On va tirer ce fil-là peut-être que ça me ramènera chez moi."
C'est un hommage à votre père, c'est une façon aussi de raconter son histoire.
C'est une façon de lui dire au revoir et de reprendre le flambeau.
De lui dire au revoir mais surtout de lui rendre hommage et de lui rendre sa place, avec son histoire qui a été extrêmement difficile. Que gardez-vous de lui ?
L'importance de la volonté. Mon père m'a toujours dit : "La seule chose qui nous distingue des animaux, c'est la volonté."
Vous vous êtes posé beaucoup de questions et vous racontez une anecdote assez incroyable. Votre père, cinq jours avant de disparaître, vous tend une photo de sa mère en vous disant : "Tu lui ressembles". On sent que ce moment est très fort pour vous.
Je n'ai jamais su qu'il avait une photo de sa mère, il ne m'en a jamais parlé. Elle est morte sans qu'il soit présent. L'idée que mon père pendant 94 ans ait une photo de sa mère et qu'il ne me l'ait jamais dit, que je ne l'aie jamais su, vue, ça m'a sidérée. Ce que je ne dis pas dans le livre c'est que c'est le dernier jour où j'ai vu mon père vivant.
Quand j'ai terminé le livre, je suis allée sur la tombe de mon père et j'ai dit : "Voilà".
Michèle Halberstadtà franceinfo
On vous sent très émue. Cet ouvrage vous l'écrivez d'une façon très humaine. On apprend à aimer Freud et vous dites que ce Max Halberstadt n'était pas de la même lignée que vos grands-parents mais ce qui était important pour vous, c'était d'aller jusqu'au bout du bout, jusqu'à cette ville d'ailleurs, qui porte ce nom.
Oui, je voulais comprendre, je voulais savoir et le nombre de points communs que j'ai trouvé entre cette famille et la mienne, c'était très étrange. Plus j'avançais plus cela validait le fait que je m'y intéresse.
Ça veut dire quand même il n'y a pas trop de hasards dans la vie?
Oui. Je trouve intéressant que la fille d'un psychanalyste épouse un photographe parce que les métiers sont quand même assez proches. Ce qu'on n'a pas assez dit, c'est le féministe qu'était Freud. Il y a quand même une lettre incroyable que j'ai retrouvée, dans laquelle il écrit à un médecin et il parle de la possibilité de ne pas avoir d'enfant pour une jeune femme ! La contraception vue par Freud en 1920 ! Je suis tombée de ma chaise. Personne n'a jamais dit qu'il s'intéressait à ce sujet et qu'il trouvait terrible que les femmes n'aient pas le choix du moment où elles avaient un enfant. Qui nous a jamais dit ça ? On nous a toujours dit que Freud était un affreux misogyne mais c'est totalement faux !
Vous avez réussi dans un milieu très difficile pour une femme, celui du cinéma. Vous avez vraiment réussi à marquer le milieu, vous faites partie de celles qui ont été des précurseurs.
Je ne sais pas, il y a beaucoup de filles maintenant. Entre mes parents et mon mari, j'ai été entourée de gens pour qui ça n'est pas un débat d'être une femme. Mon père m'a toujours dit : "Tu fonces, tu fais ce que tu as à faire, on s'en fout que tu sois une fille, c'est à toi de leur montrer que ça ne fait pas de différence". Donc, j'ai toujours avancé dans l'esprit que ça n'avait aucune importance et que ça ne faisait aucune différence. Alors, j'ai eu des moments compliqués, je me souviens quand j'étais rédactrice en chef de Première, où j'arrivais enceinte dans des réunions où 11 mecs fumaient le cigare devant mon gros ventre et qu'il n'y en pas un pour demander si ça me gênait. Et moi, j'allais vomir dans les toilettes mais plutôt crever que de leur dire d'éteindre leurs cigares !
Tous ces hommes qui tombent, ils tombent parce qu'au bout d'un moment, ils sont moins puissants, donc on ose.
Michèle Halberstatdt, à propos de l'affaire Weinsteinà franceinfo
Ce qui s'est passé lors de la remise des César avec Roman Polanski ou encore l'affaire Weinstein, vous appelez ça une révolution. Vous dites d'ailleurs que cette révolution vous a aussi permis de recouvrer la mémoire.
Absolument. Le jour où d'un seul coup, on vous montre qu'il y a plein de femmes comme vous et qui ont vécu bien pire que vous et bien vous revenez sur vos pas et vous vous dites : "Ah oui, c'est vrai qu'il y a eu ça, puis ça, puis ce jour-là et puis ça ce n'était quand même pas terrible"... Moi, je me souviens d'un mec qui est venu chez moi relire un papier qui m'a sauté dessus et que j'ai eu tout le mal du monde à sortir de chez moi. Mais comment j'ai pu ne rien dire ? Parce que vous avez honte, c'est tellement humiliant que vous avez envie d'oublier l'humiliation, donc vous vous taisez.
Moi, j'en ai des histoires à raconter sur Harvey Weinstein, c'était vraiment un mec atroce mais ça n'a pu arriver que parce qu'il a perdu de son pouvoir. Weinstein, pendant vingt ans, personne n'a osé et tout le monde savait. C'est parce que petit à petit, professionnellement, il est devenu moins puissant.
Mais sur Roman Polanski, est-ce que vous comprenez les gens qui disent : "Il faut dissocier l'homme de l'artiste qu'il est" ?
Tous les jours, on rencontre des artistes qui sont des grands artistes dont on s'aperçoit qu'humainement ce sont vraiment des merdes. Donc oui, moi je dirais qu'il faut dissocier l'homme et l'artiste.
Ça vous apporte quoi à l'écriture?
L'écriture, ça me console.
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