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Judith Magre, toujours sur scène à 95 ans : "Le théâtre a occupé ma vie d’une façon merveilleuse"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la comédienne Judith Magre. Elle est à l’affiche de la pièce "Une vie allemande", au théâtre de Poche-Montparnasse à Paris.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Judith Magre, lors du tournage de l'émission "Vivement Dimanche" sur France 2, le 18 mars 2015. (FREDERIC DUGIT / MAXPPP)

Judith Magre est comédienne de théâtre et de cinéma. Elle a été couronnée par trois Molière et a joué avec et pour les plus grands. À 95 ans, elle est seule en scène au théâtre de Poche-Montparnasse dans Une vie allemande de Christopher Hampton. Pendant une heure et quart, elle interprète le rôle de Brunhilde Pomsel, dans un monologue aux textes ciselés, né des récits et témoignages de cette Allemande, ancienne secrétaire d’un des secrétaires de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande pendant le régime nazi.

franceinfo : Une vie allemande part du témoignage livré en 2013 de Brunhilde Pomsel alors qu'elle avait 102 ans. Elle assure qu'elle ignorait l'horreur à laquelle elle participait. On sent que vous êtes très investie par ce rôle.

Judith Magre : J'allais vous dire que je me fous complètement de l'histoire de madame Pomsel. J'en fais mon histoire, je raconte mon histoire et je ne vais pas chercher des tas de documents. J'étais la secrétaire d'un des secrétaires particuliers de Goebbels, que j'aimais d'ailleurs beaucoup !

Vous avez toujours eu cet amour de la scène. Que représente pour vous le fait d'être au théâtre encore aujourd'hui ?

Vous savez, j'ai 95 ans mais je m'en fous complètement. Je trouve que la vieillesse est une chose affreuse. Je déteste avoir 95 ans. Quand on a mon âge, tous les amis sont morts, toute la famille meurt, ce n'est pas gai. Je ne suis pas en train de pleurer sur mon sort, c'est comme ça, il faut le prendre comme ça vient. C'est pour ça que c'est formidable de jouer parce que, tous les soirs, je retrouve les gens du théâtre, les techniciens, les personnes du bar.

"Pendant trois jours par semaine, je ne joue pas et ça m'embête. Je m'occupe : je vois des gens, je bois, je rigole, mais j'aime bien être au théâtre."

Judith Magre

à franceinfo

Vous êtes issue d'une famille d'industriels de Haute-Marne. Qu'est-ce qui fait que vous ayez eu envie de monter sur scène ?

Je n'en ai jamais eu envie. Tout s'est fait par hasard. J'ai été comme tout le monde au collège et j'ai fait mes études. Je ne savais pas grand-chose mais j'ai toujours passé tous les examens, on se demande comment ! Puis, je me suis un peu fâchée avec mes parents qui, par ailleurs, étaient des gens merveilleux avec lesquels j'ai toujours retrouvé des relations très fortes et très affectueuses.

Un jour, alors que j'en avais marre de faire des petits boulots, j'ai vu dans Paris-Match une photo de René Simon avec des créatures de rêve, photographiées autour de lui. Je me suis dit : "Je ne suis pas une créature de rêve, mais tant pis, je vais quand même lui téléphoner." Il a eu la gentillesse de me dire : "Tu viens gratuitement." Là-dessus, je n'ai absolument rien pu faire ni dire, j'étais complètement terrorisée, complexée. Je suis montée une fois sur scène pour réciter La Loreley de Guillaume Appolinaire et j'ai commencé à pleurer. Je suis descendue et Simon m'a traitée de cloche. Finalement, au bout de trois mois, il m'a trouvé mon premier contrat parce qu'une de ses élèves était tombée malade. C'est comme ça que ma vie de comédienne a commencé.

Vous êtes vraiment tombée amoureuse du théâtre quand même !

Disons que le théâtre a occupé ma vie d'une façon merveilleuse parce que ça m'a permis de rencontrer des gens que j'ai beaucoup aimés. Ça m'a donné une vie variée.

Vous vous rappelez de votre première fois sur scène à Innsbruck, dans une pièce d'Emile Mazaud ?

C'est à la suite de cette histoire avec René Simon. J'avais un très joli petit costume avec une ombrelle et un chapeau. Au moment d'entrer en scène, la panique totale. Deux techniciens m'ont poussée et j'ai atterri sur le plateau, perdant au passage mon chapeau et mon ombrelle. Je me suis relevée. J'étais au milieu de la scène, je me suis dit : "Qu'est-ce que je peux faire ? J'y reste." Et j'ai enchaîné.

Vous avez reçu trois Molière. Ça représente quoi pour vous ?

La première fois, en 1990, ça m'a fait plaisir, mais comme je jouais dans une pièce avec ce génie qu'est mon amie Catherine Hiegel, je pensais que ce serait elle qui aurait le Molière. Je l'ai eu et je me suis dit : "Peut-être qu'elle ne sera pas contente de ne pas l'avoir." Je ne sais pas ce qu'elle en a pensé, mais nous sommes restées très amies.

À propos du troisième, en 2006, je ne m'y attendais pas puisque j'en avais déjà eu deux. Je jouais Histoire d'hommes, un texte que Xavier Durringer avait écrit pour moi et que j'ai joué avec un bonheur extraordinaire. Ce jour-là, c'est un voisin qui m'a tapé sur l'épaule et un journaliste m'a dit : "Judith, il faut monter sur scène !" J'étais tellement désorientée que je n'ai pas remercié Durringer. Je sors de scène, je me dis : "Mais tu es complètement gâteuse, ce n'est pas possible !" Et quand je suis rentrée chez moi, toute l'équipe de Durringer m'a engueulée. Ce qui fait que j'ai très mal vécu ce Molière.

A-t-il compris par la suite ?

Je ne l'ai revu qu'il y a deux ou trois ans et nous sommes redevenus très amis. C'est quelqu'un que j'aime et que j'admire beaucoup. Cette histoire m'est restée sur le cœur.

Quel regard avez-vous sur votre parcours ?

Je ne regarde jamais mon passé.

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