Joana Balavoine évoque ses 14 ans de dépendance à la drogue dans la BD "Les Lions endormis"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la chanteuse et fille de Daniel Balavoine, Joana Balavoine.
Joana Balavoine est chanteuse et comme son nom de famille l'indique, elle est la fille de Daniel Balavoine, décédé avant sa naissance. Elle a donc grandi sans lui, mais avec une passion commune, celle de la musique. Joana Balavoine publie une bande dessinée réalisée en collaboration avec la scénariste Sylvie Gaillard et la dessinatrice Fanny Montgermont, Les Lions endormis, aux éditions Grand Angle. Elle y raconte son histoire et notamment son combat contre la drogue. Le cannabis d'abord, puis la cocaïne. Quatorze ans d'addiction et une victoire sur ce poison grâce à une volonté hors norme.
franceinfo : le titre de votre livre Les Lions endormis en dit long. Vous racontez dans cet ouvrage que les lions s'attaquent souvent à des proies extrêmement faibles. Ce n'était donc pas un hasard que vous tombiez dans la drogue ?
Joana Balavoine : Non, pas du tout. Ça commence avec les gens fragiles et je l'étais énormément. Sans père, sans cadre. Après, il n'y a pas que ça et ce qui est intéressant à travers cette histoire, puisque cette bande dessinée a mis quatre ans à exister, c'est que je me suis rendu compte que ce ne sont pas seulement les gens fragiles, c'est un peu tout le monde. C'est ce qui me galvanise aujourd'hui, qui me donne encore plus envie de parler de tout ça.
Qu'est-ce qui fait qu'on tombe dedans ?
Quand j'ai goûté à 16 ans, la cocaïne et l'ecstasy qu'on m'a proposés, ça ne m'a pas fait peur. Ça ne m'a pas impressionnée. Je n'étais pas au courant des effets. Il y a peut-être même un manque d'information. C'est la question que je pose : pourquoi on se remplit comme ça ? Pourquoi ce vide à l'intérieur, qu’on ne remplit pas par soi-même ? Pourquoi on le remplit d'illusions ? Pourquoi rentre-t-on dans le mensonge ?
L'addiction, c’est la drogue, c'est aussi la nourriture, ça peut être le sexe, les réseaux sociaux. Moi, j'ai envie de parler de ça.
Joana Balavoineà franceinfo
Vous dites que le problème, justement, ce n'est pas la drogue, mais pourquoi on se drogue. Avez-vous réussi à mettre des mots dessus ?
En ce qui me concerne, c'est effectivement l'absence du père. C'est une situation familiale. C'est tout ce traumatisme sur lequel je me suis bâtie et qui a fait que je ne savais pas qui j'étais. Je ne savais pas comment être.
J'ai voulu, à défaut, qu'on m'aime pour ce que je n'étais peut-être pas alors qu'aujourd'hui, si on ne m'aime pas pour ce que je suis, ce n'est pas grave, c'est plutôt bien.
Joana Balavoineà franceinfo
La drogue, c'est quelque chose qui vous transforme, et en particulier la cocaïne. Vous pouvez être qui vous voulez, vous pouvez jouer à qui vous voulez. Et je pense que le plus terrible, c'est qu'à un moment donné, on ne sait même plus si on ment, si on ne ment pas, c'est terrible. Moi, ça m'arrangeait puisqu'en face, j'avais l'image d'un père mythique.
Votre père parle à des millions de personnes encore aujourd'hui.
En plus ! Il y a un côté magnifique d'avoir un père qui était de cette sincérité, c'est pour ça qu'il est toujours là d'ailleurs, mais fantomatique. Moi, je n'avais pas de place pour un père. Je n'avais pas de place pour cet équilibre. Je n'avais pas d'intimité, et clairement, je ne sais pas d'où je viens vraiment. C'est aussi le message. Avec cette BD aussi intime, on est allées dans beaucoup de détails, et j'avais aussi ce désir que tout le monde puisse se reconnaître dedans.
Je voudrais qu'on aborde justement la voix de ce père qui continue de résonner. Vous ne l'avez pas croisé physiquement, mais quand on écoute ses textes, les chansons Aimer est plus fort que d'être aimé, Vivre ou survivre, on a l'impression que c'est un message qu'il vous envoie. Il est à l'origine de cette descente aux enfers même s'il n'y a pas eu que ça, mais aussi de cette envie de remonter la pente. De le respecter, finalement, au travers de ce qu'il vous a laissé.
Une des choses les plus fortes, c'est d'avoir pris conscience que c'est l’héritage de mon père. Tout ce qu'il a fait, je ne peux pas le gâcher.
Joana Balavoineà franceinfo
Je me suis mise à être à l'heure à mes cours de chant, à respecter mon professeur, à respecter la vie. Ce que je ne faisais pas parce qu'il y a aussi cette dimension, et ça, les gens ne s'en rendent pas compte, d'une projection. La projection, c'est que vous êtes son prolongement donc vous êtes comme lui. À un moment donné, c'est la prise de conscience que je ne suis pas lui. Comment dois-je exister ? Ça fait un peu peur, mais moins que de se trouver.
Ce livre existe pour aborder les dégâts générés par la consommation de drogues.
C'est assez intéressant car on a mis quatre ans à faire cette bande dessinée et il faut savoir que j'ai rechuté pendant ce laps de temps. C'est pour ça qu'on a ajouté le livret. C'était très important pour moi de dire, la prise de conscience est une chose, mais le combat est plus long que ça. J'ai eu la chance d'avoir un entourage qui m'a tendu la main. J'ai aussi envie de dire aux gens que quand on vous tend la main, il y a une reconnaissance infinie parce que tout seul, c'est impossible.
Cette renaissance, c'est la musique. C'est votre base, elle vous fait vibrer.
Pourtant, plus jeune, j'ai eu peur de faire ça. À chaque fois, c'est revenu dans mon chemin. La différence, c'est qu'aujourd'hui, j'ai pris conscience que c'est un métier. Ce n'est pas parce qu'on est 'fille de' ou 'fils de' qu'il ne faut pas apprendre. Ça a été une belle leçon pour moi.
Ça signifie qu'un jour, allez-vous vous arrêter de vous excuser d'être la 'fille de' ?
C'est ce qui est en train de se passer avec cette BD car je crois que pour la première fois de ma vie, je me sens légitime de quelque chose, de partager cette expérience, certes négative, mais qui est en train peut-être aussi de devenir utile. Ça fait du bien.
Êtes-vous sevrée aujourd'hui ?
Oui. Ça fait trois ans.
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