Cet article date de plus d'un an.

"Je voulais donner à la vie plus que ce que j'avais" : la cheffe Dominique Crenn se confie dans son autobiographie

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 31 octobre 2023 : la cheffe cuisinière triplement étoilée, Dominique Crenn. Elle vient de publier, son autobiographie, "Les Mémoires d'une cheffe rebelle" aux éditions du Cherche-Midi.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La cheffe triplement étoilée, Dominique Crenn, invitée le 31 octobre 2023 du "Monde d'Élodie" sur franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Dominique Crenn est cheffe cuisinière, première femme triplement étoilée des États-Unis. En 2016, elle a été élue meilleur chef du monde. Son histoire forte très particulière en dit long sur la cuisine qu'elle propose. Née sous X à Versailles, mais Bretonne d'adoption, sa cuisine se veut moderne, éthique et poétique. Depuis peu, elle a quitté San Francisco pour revenir en France avec un nouveau restaurant, le Golden Poppy. Depuis peu, elle est également devenue le nouveau membre du jury de l'émission "Top Chef" sur M6. Aujourd'hui, elle publie son autobiographie, Les Mémoires d'une cheffe rebelle, aux éditions du Cherche-Midi.

franceinfo : C'est une belle manière de vous présenter au public français qui ne vous connaît pas forcément. Était-il temps d'écrire ce livre ?

Dominique Crenn : J'ai toujours voulu écrire mon histoire. Une histoire qui peut inspirer aussi les autres. Alors ce qui s'est passé, c'est que je l'ai écrit pendant mon cancer du sein. J'avais du temps. C'est un livre de réflexion, un livre aussi, où les gens peuvent se reconnaître. Un livre plein d'humilité, d'humanité.

Ce cancer du sein a été à l'origine d'une prise de conscience, d'une envie aussi de remettre l'essentiel au cœur de votre vie. Là où d'autres parlent de combat, vous parlez de nouveau départ ?

Je ne regarde pas les choses comme un combat, mais comme une expérience à vivre. Bon, ce n'était pas facile non plus, mais j'ai regardé les choses positivement. J'avais aussi en face de moi des gens qui m'aimaient, mes enfants, mes amours et aussi mon équipe. Et j'aime bien la vie. Je voulais donner à la vie plus que ce que j'avais. 

Qu'est-ce qu'une "cheffe rebelle", puisque c'est le titre de cet ouvrage ?

C'est quelqu'un qui n'aime pas être dans une boîte, qui veut s'ouvrir aux autres choses tout en respectant les gens autour de lui. Je suis quelqu'un qui est autodidacte. 

La cuisine, c'est un art, une émotion, un partage. Je suis une rebelle avec amour. 

Dominique Crenn

à franceinfo


Vous vous racontez sans détour dans cet ouvrage. Vous nous parlez de votre point de départ, c'est-à-dire du fait que vous êtes née sous X ?

Apparemment, j'ai été reconnue par ma mère biologique et puis après le dossier était fermé.

Vous dites cette phrase incroyable : "Être adoptée, c'est avoir une existence fantôme, c'est vivre dans l'ombre de ce qui aurait pu se passer." Qu'est-ce que ça signifie ?

Le fantôme, il faut le prendre d'une manière positive et c'est peut-être ce genre d'ombre qui vous amène à un pouvoir d'être. Je suis adoptée et voilà, j'ai une existence qui commence aujourd'hui. Mais il y a une petite ombre ici. Il faut la caresser, il faut l'aimer.

Vous vous êtes toujours sentie différente ? À l'école, vous ne vouliez pas rentrer dans le moule. Votre seule envie, c'était de devenir cheffe cuisinière. Comment est-ce que vous l'expliquez ?

Le monde gastronomique était quelque chose qui m'intéressait. Mes deux parents venaient de familles de fermiers. Donc la ferme, la terre et la Bretagne, la mer, ça m'intéressait beaucoup. Mon père allait au marché, faire les courses, même à la criée. Mais il ne savait pas du tout cuisiner. Mon père était un peintre. Il adorait ces produits et il les donnait à ma maman qui en faisait des choses incroyables.

Vous avez mis du temps à lui dire que vous vouliez devenir cheffe. Comme vous avez mis du temps à lui expliquer que vous étiez attirée par les femmes. Vous lui rendez énormément hommage dans ce livre qui est d'abord une déclaration d'amour à votre famille. En même temps, vous racontez qu'il a fallu quand même que vous réussissiez à lui dire certaines choses qui n'étaient pas simples ?

Non, ce n'était pas simple. C'est un respect pour l'autre. il est parti en 1999 et il me donne toujours des émotions. J'ai beaucoup de respect pour cet homme. C'était un homme très droit, sensible. Je savais qu'il y avait beaucoup d'amour et je savais qu'il m'aimerait telle que j'étais. Il n'y avait pas de questions. Je me rappelle le jour où je lui ai envoyé ce petit article dans un journal de San Francisco qui parlait de ma cuisine. Il a été ébloui, il s'est dit : " C'est ma fille qui fait ça !" C'était un moment incroyable dans ma vie. Il me regardait, il me comprenait et ça, c'était mon père. C'était tout pour moi.

Dans ce livre, vous parlez de la place des femmes. Vous racontez comment vous avez été maltraitée en cuisine, pelotée, on vous a hurlé dessus. Vous n'avez jamais arrêté. Vous aviez déjà dans votre tête cette envie de réussir, d'aller jusqu'au bout ?

C'est aussi ma maman qui vient juste de partir, il y a quelques mois. C'était une femme très forte comme ma grand-mère qui écoutait beaucoup. Elle me disait : " Dominique, Ne t'abaisse pas aux hommes, il faut que tu gardes ta force en toi-même, que tu apportes ton discours, mais d'une manière très pensée. C'est une sorte de forteresse que tu construis autour de toi."

Il existe un pourquoi. Pourquoi est-ce qu'on est sur cette terre ? Moi, je suis ici pour mettre les femmes en avant.

Dominique Crenn

à franceinfo

Comment allez-vous aujourd'hui ?

Je pète la vie. Ça fait deux ans, maintenant que je suis au top. Le cancer, c'est passé, c'est à côté.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.