Guerre au Proche-Orient : "C'est la même vision fondamentaliste des deux côtés et ça doit terroriser tout le monde", avertit Charles Enderlin
Charles Enderlin a officié en tant que correspondant à Jérusalem, pendant plus de 35 ans pour France 2 nous plongeant presque à chaque fois sur un terrain de guerre. En parallèle, il a écrit et réalisé des documentaires pour informer, expliquer et raconter ce que vivent ces populations israéliennes et palestiniennes. Il republie dans une version actualisée son ouvrage "Le grand aveuglement : Israël face à l'islam radical" aux éditions Albin Michel, déjà paru en 2009.
franceinfo : Vous avez donc réécrit un avant-propos en expliquant les événements du 7-octobre à l'origine de cette guerre annoncée. Rien n'a été fait pour l'empêcher. Comment l'explique-t-on ?
Charles Enderlin : On l'explique par le manque de compréhension du fondamentaliste. Benyamin Nétanyahou est revenu au pouvoir en 2009 avec une grande idée, mettre en place ce dont son père, historien, l'a chargé : la grande défense du peuple juif. Pour lui, le peuple juif est menacé depuis sa création dans l'Antiquité jusqu'à nos jours. Il doit absolument veiller à transformer la démocratie israélienne en autre chose. C'est l'idée de base de Benyamin Nétanyahou. Quand aujourd'hui, on nous dit que Benyamin Nétanyahu est un va-t-en-guerre, c'est faux. Benyamin Nétanyahou déteste l'armée israélienne et cette situation est arrivée aujourd'hui par le manque de compréhension en laissant Gaza au Hamas.
"Personne en Israël n'a compris que le but du fondamentalisme islamique, c'est évidemment la destruction d'Israël, d'où l'attaque du 7-Octobre."
Charles Enderlinà franceinfo
Comment avez-vous vécu cette attaque et ce massacre du 7-Octobre ?
Avec une énorme surprise. Le 7-Octobre, des militaires israéliens ont été attaqués par le Hamas et ils ont été capturés ou assassinés en pyjama. C'est quelque chose d'absolument hallucinant. C'était un laisser-faire de la part de l'armée israélienne. Aujourd'hui, on a eu l'attaque contre le Hezbollah au Liban, l'affaire des bipeurs qui explosent, les talkies-walkies. Les services israéliens savaient exactement où était Nasrallah. Gaza, rien, un noir absolu. Pourquoi ? Parce que Benyamin Nétanyahou, sous sa direction, disait aux services : "Fichez la paix au Hamas." Le 7-Octobre est arrivé par la faute d'une politique d'une stratégie d'interdiction de l'État palestinien par Benyamin Nétanyahou et ses prédécesseurs.
Comment peut-on expliquer que les peuples ne se révoltent pas ? D'un côté les Israéliens par rapport à Benyamin Nétanyahou et de l'autre les Palestiniens par rapport au Hamas. Vous l'expliquez d'ailleurs dans votre ouvrage, tout ce qui a été création de tunnels à Gaza n'a servi finalement qu'aux soldats. Ils ne servent pas à protéger la population civile qui, elle, sert de chair à canon.
On a demandé à Abou Marzouk, l'un des chefs du Hamas, lorsque la guerre d'Israël à Gaza a commencé : "Pourquoi ne laissez-vous pas les civils entrer dans les tunnels, se protéger ?" Il a répondu : "les tunnels, c'est pour les combattants". Alors qui doit protéger les civils à Gaza ? Il a répondu : "L'ONU et Israël". Pour les islamistes, les pertes civiles, ce n'est pas important, ce sont des martyrs. Ce qui est important, c'est jusqu'où on va. Le mouvement messianique d'Israël, quant à lui, est persuadé que ça y est, on est dans la période eschatologique. Le Messie va arriver dans les mois, les années qui viennent, donc on peut renoncer aux otages à Gaza. C'est la même vision fondamentaliste des deux côtés et c'est cela qui doit terroriser tout le monde.
Tomer Persico, chercheur de l'Institut Shalom Hartman parle de cet engrenage infernal qui peut mener à l'isolement d'Israël et à son effondrement économique et social. Est-ce que vous le pensez ?
Tout à fait. L'économie israélienne est en train de s'effondrer. Le 8 octobre, la mobilisation des réservistes a atteint 120%. Des gens qui n'étaient pas rappelés sont venus quand même combattre. Aujourd'hui, on est tombé à 60%. Le grand risque pour Israël, c'est le départ de cette jeunesse laïque ou observante, à l'étranger qui n'est pas prête à payer le prix de cette politique nationaliste religieuse de transformation de cet État en une autocratie.
Quel regard portez-vous sur tout ce parcours ? Vous avez un besoin de continuer à raconter correctement cette histoire avec désormais, le Liban et l'Iran ?
Je crois qu'il le faut, parce qu'elle n'est souvent pas comprise. Il faut quitter l'aspect purement géopolitique pour commencer à lire les textes religieux.
"Le Cheikh Ahmed Yassine en 1999 déclare qu'Israël sera détruit en 2027. Pour le Hezbollah, je crois que leur calcul va à 2030. Donc toutes ces attaques tombent pour une raison purement religieuse. C'est ça qu'il faut analyser."
Charles Enderlinà franceinfo
C'est rare qu'il y ait des notions de désespoir. Est-ce que vous avez peur et est-ce que vous êtes désespéré ?
D'un point de vue purement militaire et sécuritaire, je ne me fais absolument aucun souci, Israël gagnera. Politiquement ? Probablement pas. À ce stade, en dépit de tout ce qu'ils disent, la droite, l'extrême droite et les messianiques Israéliens sont prêts à sacrifier les otages. C'est une absence de stratégie. Même vis-à-vis du Liban, qu'est-ce qu'Israël veut au Liban ? On ne sait pas. Il y a des problèmes d'équilibres politiques internes entre la droite et l'extrême droite, les messianiques. C'est ça, Israël aujourd'hui.
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