Françoise Chandernagor : "Ma vraie vocation, c'était l'écriture depuis toujours"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi, la femme de lettres Françoise Chandernagor.
Femme de lettres, membre de l'académie Goncourt et première femme à avoir obtenu le rang de major de promotion à l'Ecole nationale d'administration (ENA), Françoise Chandernagor, après avoir été haut fonctionnaire, a décidé de se consacrer pleinement à l’écriture. Aujourd'hui, elle publie le troisième tome de sa tétralogie La Reine oubliée : L'homme de Césarée aux éditions Albin Michel.
Elodie Suigo : Après Les Enfants d'Alexandrie (2011) et Les Dames de Rome (2012), vous continuez de ressusciter le monde antique à travers un personnage secondaire de l'histoire, Séléné, fille de Cléopâtre et d'Antoine et unique descendante. Cet ouvrage s'ouvre alors que Séléné a 20 ans et embarque pour la Mauritanie, un pays inconnu, abandonnant tout derrière elle. On peut dire que c'est un cataclysme.
Françoise Chandernagor : Oui, mais elle commence à être habituée aux cataclysmes. À 10 ans, elle a vu son monde s'effondrer, c'est-à-dire la chute de l'Égypte et d'Alexandrie en particulier, le suicide de ses parents et l'assassinat de ses deux frères aînés par le vainqueur. C'est déjà beaucoup. Elle est emmenée captive. Elle doit participer au triomphe d'Octave sur Cléopâtre et on l'a fait défiler dans les rues de Rome, enchaînée. Mais sa chance, ça va être d'être élevée par la sœur d'Auguste, qui est une femme remarquable, Octavie, très intelligente, très humaine et aimant ses enfants, vouée au célibat, à terminer vieille fille. Et puis, Octavie va décider son frère à marier Séléné avec ce qu'il considère comme un roi barbare, le roi de Mauritanie. On va découvrir que c'est un pays très riche, que le roi est jeune et merveilleusement beau - je suis amoureuse de lui ! - et en plus extrêmement cultivé, c’est un grand lettré grec. Lui-même a connu un sort très proche de celui de sa jeune femme. Son père a été vaincu par César et s'est suicidé. À 3 ans, il a été transporté comme captif à Rome et connaît ce qu'a connu Séléné.
Ce troisième volet, c'est une victoire sur la vie ? Vous avez vous-même été malade.
Oui. Je m'embarquais pour une trilogie ou une tétralogie, je ne savais pas si cela ferait trois ou quatre volumes et je me suis retrouvée sur une table d'opération en urgence le jour de la sortie du deuxième volume. On m'avait découvert un gros cancer dont je ne me doutais pas, c'est comme ça. C'est ça qui a fait que j'ai dû interrompre cette série. Et maintenant que j'ai l'illusion, peut-être, que je suis guérie pour quelque temps et bien, je suis repartie ! Là, j'ai pratiquement fini le quatrième, donc tout va être bon, je pense, cette fois.
Je voudrais qu'on parle de vous. Vous êtes diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris, vous avez une maîtrise de droit public et puis à 21 ans vous entrez à l'ENA. Vous allez devenir la première femme à obtenir le rang de major de promotion. Comment l'avez-vous vécu ? Fière ?
Je m'étais dit que ça devait être possible mais l'ENA (Ecole normale d'administration) était la seule grande école ouverte aux femmes à l'époque. Polytechnique, HEC (Ecole des hautes études commerciales), tout ça s'est ouvert après ma sortie de l'ENA.
Est-ce que je pouvais être major de l'ENA ? Et bien tant qu'à faire... si je travaillais beaucoup ! Je le croyais improbable parce que je me disais : "Ils ne vont pas oser mettre une femme". Mais heureusement, les épreuves étaient anonymes.
Françoise Chandernagorà franceinfo
Les oraux étaient anonymes de mon temps, mais ils ne le sont plus maintenant, je le regrette. Moi, je ne serais pas entrée à l'ENA à l'époque, et je vais vous dire pourquoi. Ce n'est pas du tout parce que j'étais une femme mais parce que j'étais la fille d'un député socialiste opposant au pouvoir gaulliste. Je pensais bien que je risquais de ne pas entrer s'ils savaient qui j'étais. Mais les épreuves étant anonymes, ils ne savaient pas qui ils avaient devant eux à l'oral. Et on était quand même un certain nombre de femmes à se présenter. Une fois entrée à l'ENA, j'ai su que tous les préfets, sauf un, m'avaient refusée comme stagiaire ayant trop peur des conséquences politiques. Un seul m'a acceptée et je l'ai adoré parce que lui, a été courageux. Rendez-vous compte de ce qu'était la politisation de l'administration française à l'époque où j'y suis entrée. Et je trouvais que mon obstacle principal, ce n'était même pas d'être une femme, c'était être la fille d'un homme de gauche.
En 1969, vous entrez au Conseil d'Etat. Vous allez exercer plusieurs fonctions comme celle de rapporteur général. En 1991, vous allez même rédiger le rapport annuel du Conseil d'Etat sur l'insécurité juridique. Et puis en 1993, vous prenez la décision d'arrêter cette carrière de fonctionnaire, de sortir de l'administration pour vivre de votre passion qu'est l'écriture. Lourde décision. Comment avez-vous vécu ce moment-là ?
Je ne lâchais pas tout à mon premier livre ! J'en avais déjà écrit quelques-uns qui avaient bien marché mais c'était acrobatique d'écrire des livres en faisant mon travail au Conseil d'Ètat et en ayant trois jeunes enfants, ça devenait vraiment très dur. Je me suis dit : bon, je ne peux plus. J'avais un haut niveau de responsabilités, et suis restée trois, quatre ans sans écrire une ligne, je ne pouvais pas. Alors je me suis dit : Il faut choisir. J'ai fait le saut, pas totalement dans le vide puisque j'avais déjà publié et je savais que ça pouvait marcher. Et je savais que ma vraie vocation, c'était l'écriture depuis toujours.
Ce dont je suis fière, c'est d'avoir suivi ma route et un peu comme Cyrano, d'être montée pas bien haut peut-être, mais par moi-même
Françoise Chandernagorà franceinfo
On m'a offert, à une époque où il y avait très peu de femmes dans la vie politique, des propositions pour être ministre mais ça ne me disait rien, c'était vraiment m'écarter de ce qui était mon propre chemin.
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