Émilie Dequenne : ""Survivre" est un film de survie, mais moi, dans ma propre vie, ce qui m'intéresse, c'est de vivre, pas de survivre"
C'est avec le drame Rosetta des frères Dardenne en 1999 que le public a découvert Émilie Dequenne, une petite actrice belge pétillante, hésitante, mais complètement habitée et que le métier a aussi repéré en lui attribuant le prix d'interprétation féminine. Elle avait 17 ans. Suivront Le Pacte des loups de Christophe Gans (2001), Une femme de ménage avec Jean-Pierre Bacri de Claude Berri (2002), La fille du RER d'André Téchiné (2009), ou encore Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait d'Emmanuel Mouret, couronné du César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2020. Quand on regarde bien, on se rend compte qu'elle est une actrice née. Ses débuts datent de 1993 quand, à 12 ans, elle étudie à l'atelier théâtre de l'Académie avant de rejoindre une troupe amateur, "La relève" de Ladeuze.
Depuis le mercredi 19 juin, elle est à l'affiche du film Survivre de Frédéric Jardin. C'est un thriller, l'histoire d'une famille. Tom et Julia naviguent à bord de leur bateau avec leurs deux enfants, Ben et Cassie quand leur boussole se met à se dérégler. La tempête se lève, les pôles s'inversent et la mer se retire littéralement, laissant cette famille avec ce que l'homme a semé, jeté, enfoui depuis des milliers d'années.
franceinfo : J'ai l'impression que Survivre est d'abord un tête à tête avec ce que nous sommes nous-mêmes, les hommes.
Émilie Dequenne : J'avoue que ça nous ramène à notre condition de petite chose face à l'immensité de la nature. Alors ça reste un vrai film de divertissement, d'action, de genre, réaliste et parfois un peu surréaliste. C'est du cinéma. Cependant, il y a cette légère trame qui est de se dire qu'effectivement, quand la nature se dérègle, on est vraiment bien peu de choses.
Effectivement, là aussi, on a un côté un peu Thomas Hobbes, c'est-à-dire que l'homme est un loup pour l'homme, individualiste et même violent.
Il y a une séquence dans le film où on le voit très fort, d'ailleurs. Il y a quelques survivants et Julia et sa famille vont pour chercher de l'aide et hop, les portes se ferment et il n'y a plus personne. L'homme est bien un loup pour l'homme et le personnage de Julia pour moi est une mère louve alors la boucle est bouclée.
Quand on regarde bien, ce film vous ressemble. Vous avez toujours été très proche de votre famille. Vous avez grandi à la campagne en Belgique, pas loin des mines de charbon dans le Borinage. On sent que cette famille a toujours été un socle, tout comme pour cette maman que vous interprétez dans le film, ses enfants, c'est sa vie.
Oui, et ça a continué. Une fois que j'ai quitté ma famille en Belgique, j'ai eu une fille très tôt. J'ai fait les choses à l'envers, j'ai eu un enfant d'abord, le mari après, mais ce n'est pas grave ! J'ai rencontré mon mari qui a deux garçons et on a créé une sorte de famille recomposée qui s'est avérée être une famille qui fonctionne très fort. Les trois enfants se considèrent vraiment comme frères et sœurs. Moi je considère les garçons comme mes fils, donc il y a vraiment de cela en moi, ce côté mère. Et c'est la raison pour laquelle j'y suis allée sans crainte... C'était inconscient.
"À l'époque où on m'a proposé le scénario, j'ai vraiment cru qu'il y avait une erreur de casting parce que j'imaginais le personnage de Julia, déjà physiquement gagnante, comme une sorte de Tomb Raider, enfin, ce truc que je ne suis pas du tout."
Émilie Dequenneà franceinfo
Et finalement, je me rends compte que ce qui marche, c'est qu'elle est proche des autres, de toutes les femmes, de la majorité des femmes, en tout cas de la majorité des mères qui veulent sauver leur enfant, et ça, je l'ai en moi.
Il y a aussi la transmission dans ce film. Ce père et cette mère veulent transmettre à leurs enfants, ils veulent leur permettre de trouver leur voie, cette espèce de chemin où ils vont se retrouver, s'épanouir. C'est un peu ce qui s'est passé dans votre enfance. Vous avez dansé et chanté très tôt, mais surtout votre père vous emmenait découvrir les coulisses du théâtre. Ça a été une révélation pour vous ?
Mon père et ma mère. Mes parents, tous les deux. Alors je chantais toute seule parce que j'ai toujours aimé chanter. Je dansais surtout grâce à mon père. Il a tendance à dire que j'ai dansé avant de marcher. En tout cas, mes premiers pas, c'était pour aller du fauteuil à la chaîne HiFi pour monter le son sur la chanson Vamos a la playa. Je suis née en 1981. Ensuite le jeu, enfin le théâtre, mes parents m'emmenaient voir une troupe de théâtre amateur qui s'appelle "La Relève" et le fait de voir ses comédiens jouer... Je me souviens, je rentrais à la maison et j'avais cette envie de reproduire l'émotion, enfin n'importe quelle émotion, de recréer quelque chose qui n'était pas moi. Ça m'a vraiment donné envie. J'allais dans les coulisses des théâtres rencontrer les acteurs. Je n'ai pas eu une enfance de cinéphile, ni une adolescence de cinéphile et ces comédiens amateurs étaient mes idoles.
Vous allez être repérée très vite. Avez-vous compris rapidement que c'était là que vous vouliez être ?
J'ai toujours voulu jouer. On n'exprime pas quand on est enfant qu'on veut être comédien, comédienne, mais on sait qu'on veut jouer.
"J'ai toujours voulu jouer et encore aujourd'hui. Jouer, c'est que je veux par-dessus tout. De me dire que je gagne ma vie grâce au fait que je joue, mais quel luxe, quel privilège !"
Émilie Dequenneà franceinfo
Dans ce film Survivre. Ce qui heurte d'abord, c'est le verbe "survivre". Le but n'est-il pas justement de vivre mieux, simplement ?
Là, forcément, c'est un film de survie, mais moi, dans ma propre vie, ce qui m'intéresse, c'est de vivre, ce n'est pas de survivre. Évidemment, la survie, ce n'est pas une vie. Être un survivant, c'est bien, mais à partir du moment où après la survie, on tourne la page et on peut vivre, c'est ça qui est intéressant.
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