Deux ouvrages sur Molière signés Francis Huster : "Aujourd'hui il écrirait sur la présidentielle et les féminicides"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le comédien Francis Huster. Il publie deux ouvrages qui nous éclairent sur l’œuvre et la vie de Molière.
Francis Huster est acteur, metteur en scène, réalisateur, scénariste, écrivain. C'est au théâtre qu'il a vécu le plus d'émotions et a d'ailleurs été sociétaire de la Comédie-Française pendant plus de quatre ans. Aujourd'hui, il publie deux ouvrages : Le Dictionnaire amoureux de Molière chez Plon, et pour mieux percer le mystère Molière : Poquelin contre Molière aux éditions Armand Colin.
franceinfo : Vous avez joué Molière dans le monde entier. Vous vous êtes battu pour son entrée au Panthéon à l'occasion du 400ème anniversaire de sa naissance. À travers ces deux ouvrages, on comprend combien cet homme est plus que jamais actuel.
Francis Huster : Il est actuel parce qu'il a donné au théâtre ce que personne n'avait jamais fait avant lui : la parole au peuple. Molière est quelqu'un qui, un peu comme les Brèves de comptoir [série de livres de Jean-Marie Gourio], prend dans la rue, note vraiment. On a des documents qui prouvent que Molière, dans les endroits où il était, parmi le peuple, n'arrêtait pas de vouloir mettre sur scène ce qui passionnait le peuple.
Aujourd'hui, on imagine pendant la campagne présidentielle qui vient de s'ouvrir et jusqu'au bout, que Molière en profiterait dans un ou deux mois pour faire Un impromptu de la présidence. Et c'est ça qui est immortel chez lui. Car non seulement il y a la langue du peuple puisqu'on dit que le français est la langue de Molière, mais en plus, il y a quelque chose d'incroyable, c'est la puissance des femmes dans son œuvre. Elles n'existaient pas avant.
Cela met en évidence une chose, c'est qu'il était la voix de celles et ceux qui ne pouvaient pas s'exprimer. Ce que n'ont pas fait d'autres auteurs comme Racine ou Corneille, vous le soulignez. Où est le Molière d'aujourd'hui ?
Mais c'est une question extraordinaire et la réponse est incroyable. Il est en chacun de nous. C'est pour ça que je me bats pour cette entrée des portes de la gloire du Panthéon.
"Dès l'instant où Molière entrera au Panthéon, on y entrera tous."
Francis Husterà franceinfo
Tous ceux qui se battent depuis sa disparition, ça va faire quatre siècles maintenant, pour que la parole de la vérité de ce pays, et ce qui a fait la gloire de la France, soit entendue. Et quel incroyable regard il a porté sur les femmes ! La femme, quelle leçon elle donne aux hommes, dans toutes les pièces. C'est ça qui est vraiment bouleversant chez lui.
Je me suis rendu compte d'une chose en lisant ces deux ouvrages, c'est qu'en 1981, vous quittez la Comédie-Française. Vous quittez donc la maison de Molière, mais au final, il vous a toujours accompagné même en dehors de ses propres murs.
Je crois que c'est un peu comme quand on entre dans une foi, qu'on ouvre son âme vers le ciel, Dieu ou tout le pouvoir religieux. Une fois qu'on est entré à la Comédie-Française, on ne la quitte plus.
La force de Molière aussi réside dans le fait qu'il s'est protégé en montant sur scène. Ça, vous le mettez vraiment en exergue. Il a réussi à survivre en cassant cette douleur de cette maman absente et qui l'a terrorisé finalement jusqu'à la fin de ses jours.
Et je pense qu'il a pensé la rejoindre quand il était dans son agonie finale après avoir été empoisonné à la quatrième représentation du Malade imaginaire. Le rapport entre Molière et sa mère explique justement sa position par rapport aux femmes.
"Dans toutes les pièces de Molière, contrairement à ce qu'on pense, le héros n'est pas l'homme. Pas du tout. C'est la femme."
Francis Husterà franceinfo
Molière, à l'époque de #MeToo, aurait fait une pièce ?
Oui. Certainement. Imaginons que Molière soit vivant. Il se précipiterait dans un des grands théâtres et écrirait certainement une pièce, non seulement une sur la présidentielle, mais aussi sur les féminicides. Et là, il ne mâcherait pas ses mots. On se retrouverait avec lui aussi sur une plateforme et c'est aussi ça que j'ai voulu souligner dans ces deux livres parce que je sais que tous les étudiants auront Le dictionnaire amoureux. Tout d'un coup, ils regarderont une page ou une entrée pour aller là, pour voir ça, mais surtout, je veux leur dire, vraiment leur crier que Molière appartient à la jeunesse.
Pour terminer, je voudrais qu'on parle de l'art de la tragédie. Vous dites que c'est d'envoûter le public et que l'art de la comédie, c'est de le surprendre. C'est ça ?
Oui. Je crois. Mais c'est ce qui nous arrive dans la vie. C'est-à-dire que la tragédie, et on peut en citer une dizaine qui nous sont tombées dessus, la dernière étant le Covid-19, se colle à nous et on ne peut pas s'en sortir. On fait semblant de s'en être débarrassés, mais ce n'est pas vrai, il y a des gens qui sont encore marqués par tout ce qu'ils ont vécu comme tragédies, alors que Molière, justement, c'est le contraire. La comédie, c'est une renaissance. C'est quelque chose qui pousse en nous et qui nous libère totalement.
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