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Claude Askolovitch : "Parfois je m’étonne d’avoir été capable de vivre après avoir perdu"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’invité est le journaliste et écrivain Claude Askolovitch pour la sortie d'un roman autobiographique, "À son ombre", aux éditions Grasset.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Claude Askolovitch, journaliste, en charge de la revue de presse sur France Inter. (ANNE AUDIGIER / RADIO FRANCE)

Claude Askolovitch est journaliste. Il présente la revue de presse de France Inter et intervient dans l'émission 28 minutes sur Arte. Il est aussi écrivain et publie un ouvrage bouleversant, intitulé A son ombre (éditions Grasset). Cette ombre, elle appartient à Valérie, sa défunte épouse, disparue il y a dix ans maintenant, à l'âge de 44 ans. Une absence qui l'accompagne depuis. Il se confie au micro d'Elodie Suigo. 

Élodie Suigo : la disparition de Valérie a-t-elle changé votre regard sur la vie ?

Claude Askolovitch : C'est au delà du regard. Je ne suis pas la même personne que je l'étais. Cette mort, et surtout le fait que j'ai continué à vivre ensuite, que je n'ai pas pu m'en empêcher, que j'ai rencontré une jeune femme qui m'accompagne actuellement... Le fait que je n'ai pas pu m'empêcher de continuer à vivre fait que je n'ai pu échapper à la folie qu'en me dédoublant. J'appelle ça en marrane. Les marranes étaient ces juifs convertis de façade au catholicisme sous l'Inquisition, mais qui continuaient de pratiquer le judaïsme en secret. Je soutiens que leur deux vérités se valaient. Ils étaient vrai à l’Église et ils étaient vrai hébraïsant chez eux.

J'ai vécu ainsi pendant des années, pensant à ma femme, dialoguant avec elle, la touchant en pensée ou chérissant des objets, étant en même temps absolument heureux, amoureux, construisant une vie.

Dans ce livre vous vous livrez à cœur ouvert. Vous avouez avoir été pendant très longtemps un tyran. C’était aussi un besoin de faire un point sur ce par quoi vous étiez passé ?

Je n'aime pas la personne que j'étais devenue au moment où elle s'en va, au moment où Valérie part. On a vécu pratiquement 20 ans ensemble. Il y a des gentillesses, des dureté, des incompréhensions. On pense toujours qu'on va rattraper la vie. La mort interdit cela, c'est irrattrapable. Le livre parle plus de ma honte, de mon désarroi, de l'irrattrapable. Si je ne racontais pas ça, je n'avais aucun droit.

J'étais fasciné toutes ces années par ces livres de deuils ou d'endeuillés qui étaient toujours absolument édifiants. Moi aussi j'ai énormément appris de Valérie mais là j'ai appris tant de choses quand elle n'a plus été là. Et puis je me suis rendu compte de la personne que j'étais : un mec, un prédateur gentil, un type qui prend trop de place, qui parle trop, qui est le centre de son propre univers. 

C'est ce double constat de mes manquements, avant et après, qui détermine ma capacité à écrire le livre.

Claude Askolovitch

à franceinfo

A un moment donné je vis avec une femme qui est plus jeune que moi. J’ai reconstruit ma vie en dépit de la stupéfaction de mes enfants qui ont vu leur père tomber amoureux alors que le malheur venait d'arriver. J'ai essayé de faire ressentir cela : la folie, la dichotomie, le remords, la blessure, et les souvenirs qui sont toujours là. Si je n'y parvenais pas - je ne sais pas si j'y suis parvenu - il n'y avait pas de livre tenable.

Vous commencez par rendre hommage à votre père qui vous a beaucoup apporté, qui vous manque, et qui était un vrai conteur né. C'est lui qui vous a donné l'amour des mots ?

Il y a deux poèmes dans ce livre. Il y a À son ombre, qui est un poème que m'avait écrit Valérie, et un autre poème qui est un poème que mon père a écrit à la mort du sien. Il commence ainsi : "J'ai aimé mon père, je n'ai pas su lui dire".

Il était de ces générations où ce qui comptait par dessus tout c'est de ne pas faire de mal aux gens, individuellement. Ça j'ai appris, j'ai appris qu'en étant veuf on blesse toujours les gens inutilement.

Vous avez une fascination aussi pour votre mère parce qu'elle a abandonné le judaïsme de son enfance pour votre père, qui était juif français laïc. On sent que cet amour qu'elle lui portait c'est quelque chose qui vous fascine...

Et soyons justes, cet amour de soi ! J'ai perdu ma femme. Je n'ai rien oublié mais j'ai refait ma vie au sens trivial du terme. Ma mère, quelques années après la mort de mon père a rencontré un homme de son âge. Ils sont octogénaires tous les deux. Ils ont bâti une relation absolument amoureuse. Et quand je regarde ma mère, je vois cette espèce de force de survie qui après mon père, au-delà de mon père, a reconstruit quelque chose avec quelqu'un.

Parfois, je m'étonne d'avoir été capable de vivre après avoir perdu. Je sais d'où ça vient. Je regarde ma mère et je me dis "oui, en fait tu a ça dans tes gènes", l'idée de continuer encore.

Claude Askolovitch

à franceinfo

Il y avait les scrupules de mon père, il y avait la force de ma mère, il y avait les regrets d'harmonie qui habitaient Valérie, il y a la capacité d'acceptation et la force intérieure de mes enfants et il y a le miracle permanent de Kathleen qui m'accompagne en dépit de tout, qui doit bien me trouver quelque chose pour être là. Ce sont ces personnages-là que j'ai essayé de rendre le moins mal possible, de faire danser dans ce livre.

Est ce que ce livre n'est pas justement l'occasion de la laisser s’envoler ?

En écrivant et en mettant sur le papier Valérie, est-ce que je n'allais pas après cela la laisser tranquille ?... Elle est dans un livre, elle a cela. Rien ne le fera revenir, mais je peux peut être le laisser en paix maintenant.

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