Classique : Alexandre Tharaud interprète des "Impromptus" de Franz Schubert, son "ami très nostalgique" et "dépressif"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le pianiste Alexandre Tharaud. Il sort un premier album consacré à la musique de Franz Schubert, "Impromptus D899, Moments musicaux D780".
Pianiste, Grand Prix de l'Académie Charles-Cros pour son interprétation des œuvres de Francis Poulenc et des œuvres de Maurice Ravel, Alexandre Tharaud a aussi joué la bande originale du film Amour de Michael Haneke (2012). Pour celle-ci, il a interprété des musiques de Beethoven, de Bach et de Schubert. Aujourd'hui, il sort un premier album consacré à la musique de Franz Schubert, Impromptus D899, Moments musicaux D780.
franceinfo : Franz Schubert avait une énorme dualité et j'ai l'impression que vous y êtes très sensible.
Alexandre Tharaud : La dualité, oui, peut-être. En tout cas, chez lui, c'est clair. C'était un homme très nostalgique. Quand il parlait du passé, c'était toujours avec beaucoup de joie. Son passé à lui était empreint de jeunesse, parfois de naïveté, de choses enfantines, des petits thèmes magnifiques. Le passé revient systématiquement chez lui, quelques secondes dans sa musique et puis, il revient à son destin tragique, à la mort, à une vie, vraiment un présent épouvantable.
Quelle place Schubert a occupé dans votre apprentissage ?
C'est un compositeur qu'on apprend assez jeune parce qu'il a écrit des pièces faciles. Et puis ensuite, il est incontournable, justement avec ses Impromptus, ses moments musicaux. En ce qui me concerne, il ne m'a jamais quitté, il a toujours été là. Je l'ai joué en concert tout le temps comme quelqu'un qui m'est essentiel, un peu comme un ami. Vous savez, vous avez toujours un ami qui est dépressif, ce n'est pas très drôle de l'appeler ou vous vous dites : "Non, c'est encore lui" lorsqu'il vous appelle, mais au fond, il est là toute votre vie et vous savez profondément que vous n'allez jamais le quitter.
Quand on regarde votre parcours, on se rend compte qu'il y a un vrai lien dans tout ce que vous avez pu faire depuis que vous êtes tout petit. Votre père vous a beaucoup encouragé, notamment, à faire de la figuration au début.
Schubert était son compositeur favori.
Vous rêviez à quoi un enfant ? Parce qu'il y a cette figuration qui rentre dans votre vie et en même temps, il y a ce piano grâce à une rencontre avec une professeure extraordinaire.
Moi, je voulais être sur scène donc je faisais de la figuration, de la danse, je chantais un peu dans les spectacles d'opérette que montait mon père. Et, ce que je voulais être, c'était un acteur au sens large de la scène. Vivre la scène, je vous assure c'est merveilleux d'être sur scène. J'imaginais, enfant, la vivre plutôt en dansant. Je voulais être danseur ou magicien. J'aurais bien aimé faire du cirque aussi, et tous ces métiers se retrouvent dans le métier de pianiste.
Vous allez rencontrer dans ce parcours une femme qui va beaucoup compter pour vous, votre prof. Vous dites qu'elle vous a donné des leçons de vie.
Oui, c'était Carmen Taccon-Devenat. Une fabuleuse professeure. Elle me disait toujours qu'il fallait parler avec le clavier donc on mettait des syllabes parfois sur les notes.
"J'ai appris très jeune à raconter des histoires avec le piano."
Alexandre Tharaudà franceinfo
Au temps de Chopin et de Liszt, au début du 19e siècle, on disait : "Chopin va vous dire un nocturne". On a oublié cette expression-là et je trouve que ça parle beaucoup, c'est le cas de le dire.
La musique fait partie des métiers difficiles, on l'a vu pendant le confinement. Cela a été, d'ailleurs, dramatique pour toutes les personnes qui touchaient la musique en général. Comment avez-vous vécu ce confinement ?
J'ai été particulièrement touché avec des proches malades, des amis qui en sont morts, mais personnellement, je dois avouer qu'être plus d'une semaine chez moi, à Paris, sur mon petit balcon, à faire la cuisine, à ranger, à prendre le temps sans la pression des concerts, du prochain avion, de la prochaine entrée en scène, c'était assez merveilleux.
Vous êtes l'un des rares pianistes à ne pas avoir de piano chez lui. C'est étonnant, ça paraît incroyable.
C'est un choix de vie. Vous verriez-vous faire toutes vos émissions de chez vous ? Non, et bien c'est la même chose. Moi, je veux séparer ma vie professionnelle de ma vie privée. Donc, m'en éloigner, ça m'a fait beaucoup de bien et ça fait plus de 20 ans maintenant.
Quelle place occupe ce piano dans votre vie ?
C'est mon meilleur ami. Vous savez, quand un enfant commence le piano, souvent, ça devient très vite la personne à qui il se confie. Ensuite, si on décide de devenir pianiste, il devient notre partenaire, notre cheval de course. Il est avec nous quand on a la trouille, quand on a 20 ans et qu'on donne nos premiers concerts. Sur scène, on se retrouve tout seul... Et non, on n'est pas tout seul, on est avec ce gros toutou noir laqué et qui nous aime.
Je voudrais qu'on aborde la suite. Qu'est-ce qui vous motive aujourd'hui ?
D'abord, faire plaisir, vraiment. Je me suis rendu compte pendant toute cette période de Covid-19 combien la musique était indispensable aux gens. Ce que je veux être dans le futur, c'est être utile. Faire plaisir, me faire plaisir aussi, m'amuser dans une vie qui n'est pas facile parce que la vie de soliste, ce sont des voyages incessants et des pressions assez épouvantables.
"On est utile, si faire ce métier de musicien peut soigner quelqu'un, en tout cas lui enlever sa douleur pendant cinq minutes."
Alexandre Tharaudà franceinfo
Beaucoup de travail, énormément de travail en dehors de la musique et il faut arriver à alléger tout ça. Mon futur, je veux que ce soit une belle vie. C'est assez ambitieux, mais on va essayer.
Alexandre Tharaud est en tournée. Normalement, il sera, par exemple, le 14 janvier 2022 à Chambéry, le 19 février à Bordeaux, à Lille, le 6 avril etc… Mais n’hésitez pas à vous renseigner avec le contexte sanitaire actuel.
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