"C'est un acte de résistance contre la barbarie" : Abd Al Malik, conteur dans "Totentanz" d'Hugo Distler
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le rappeur, auteur, compositeur, interprète et écrivain, Abd Al Malik. Le 16 mars 2022, il sera sur la scène de l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique pour un projet inédit : "Totentanz" d'Hugo Distler, composé par le chef de chœur, Lionel Sow.
Abd Al Malik est rappeur, auteur, compositeur, interprète, écrivain et réalisateur. En1988, il fonde avec son cousin et son frère aîné, le groupe de rap NAP, pour New Africans Poets. La musique comme exutoire, comme un moyen d'expression fort, lui a donné envie d'avancer, de parcourir un chemin. Une quête existentielle devenue une quête spirituelle au fil du temps.
En 2004, sortait son premier album solo : Le face à face des cœurs et en 2005, son livre : Qu'Allah bénisse la France, salué par la critique, mais aussi par le public. Il y raconte son cheminement dans son envie de défendre un islam réfléchi, fait de tolérance et de désir d'intégration.
Le 16 mars 2022, il sera à l'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique dans un projet, une collaboration assez particulière : Totentanz de Hugo Distler, composé par le chef de chœur, Lionel Sow.
franceinfo : Comment vous est venu cette idée de collaboration pour Totentanz ?
Abd Al Malik : Je suis un 'serial' collaborateur. J'aime collaborer, rencontrer des artistes et tout d'un coup, avec leur univers et le mien, on se met en dialogue, on échange. On dit quelque chose, finalement, qui nous dépasse tous un peu et qui nous rassemble. En fait, avec Lionel Sow, on s'est rencontrés lors d'un événement où lui était chef d'orchestre et on a discuté. Quelque mois après, il m'appelle et me parle du projet : Totentanz et m'explique que ce spectacle est une méditation sur la mort.
Il me parle du Moyen Âge, de sa réflexion sur la finitude et ça me parle, évidemment, forcément, fatalement, parce que cette réflexion sur la finitude est mienne, elle est importante. Le fait de se dire finalement, on passe un temps bref sur cette planète, sur cette terre et qu'est-ce qu'on laisse comme traces ? Et comment on travaille à faire du lien ? Et comment l'art, finalement, nous fait accepter cette notion de finitude et nous fait être les enfants de l'instant ? Ça m'a parlé tout de suite ! Il me raconte le spectacle, en voulant que je dise, que je sois conteur, c'est ce que je suis aussi. J'ai dit : on y va.
Effectivement, ça colle parfaitement avec votre parcours, comme une évidence. Totentanz signifie macabre en allemand. Œuvre du compositeur Hugo Distler, qui a préféré se donner la mort plutôt que d'être enrôlé dans l'armée allemande. Une pièce inspirée de La danse macabre de Lübeck, impossible de ne pas la citer, et brûlée pendant la Seconde Guerre mondiale. En fait, cette pièce, c'est un vrai acte de résistance aussi.
C'est un acte de résistance contre la barbarie, mais c'est en parfait écho avec notre époque. Et c'est vrai que cette idée de quelqu'un qui dit et qui représente finalement la mort, la flûte qui représente la mort également, mais il y a un chœur, etc. C'est une réflexion à la fois individuelle et collective, comment on transcende, on dépasse une angoisse existentielle ? Et en même temps, comment on doit tenir compte de tout ça ? Pour moi, ça résonne véritablement avec ce qu'on vit aujourd'hui, une période d'incertitude, période d'épidémie, mais pas juste épidémie concrète, il y a aussi une forme d'épidémie idéologique, d'une certaine manière.
Dans cette pièce musicale, vous dites, vous lisez et vous incarnez des textes qui sont, d'une part, des aphorismes d'Angelus Silesius et d'une autre, des dialogues. Ce rôle de conteur, il a toujours fait partie de vous.
J'ai le sentiment qu'on a besoin de poétesses et de poètes, de conteuses et de conteurs pour raconter ce qui nous rassemble et pas nécessairement ce qui nous sépare.
Abd Al Malikà franceinfo
Enfant, j'ai été élevé par des femmes, essentiellement ma mère et mes tantes, et elles nous racontaient des histoires. Et forcément, d'une certaine manière, j'ai pris le pli. J'ai donc commencé à raconter des histoires, à écrire des histoires, à raconter mon quotidien, mon groupe de rap dans ma cité, ce qu'on vivait etc.. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, c'est peut-être ce qui nous manque, c'est-à-dire qu'il y a une certaine idéologie comme ça, où il y a des gens qui ont un récit, un récit mortifère, mais un récit quand même. Et du côté de la vie, où est le récit ?
On vient vous chercher parce que vous êtes devenu un liant pour plein de générations. C'est important pour vous ?
C'est un honneur et une responsabilité. Moi, ce qui m'intéresse, c'est d'être un homme pont, un homme passerelle et de faire en sorte de magnifier le dialogue, de magnifier l'échange et de chercher ce qu'on a en commun. N'est-ce pas le rôle de l'artiste, finalement ? Celui de la poétesse, du poète, de la conteuse, du conteur, de ceux qui écrivent, en tout cas de ceux qui comprennent que les mots sont plus que des mots ?
Ça vous a sauvé la lecture et la littérature ?
Véritablement. La lecture, la littérature, la culture m'ont littéralement sauvé. S'il n'y avait pas eu tout ça, je ne serais pas là, en face de vous, aujourd'hui. Et c'est important de se dire que d'une certaine manière, si ça a marché pour quelqu'un comme moi, alors ça peut marcher pour tout le monde et ça, c'est fabuleux.
C'est vrai qu'il y a eu un vrai cheminement dans tout ce que vous avez fait. Prenez-vous le temps de regarder ce chemin parcouru ?
Il y a toujours quelque chose à construire, un cheminement ne s'arrête jamais. C'est l'histoire d'une vie. Et il faut être vigilant.
Abd Al Malikà franceinfo
Précisément. En fait, je regarde devant. Le chemin parcouru, c'est très bien, mais j'ai envie de dire : pour ne pas finir à se contempler et à aimer s'entendre et se voir, c'est important de voir ce qui se passe maintenant et demain.. Être vigilant, c'est d'être les filles et les fils de l'instant. Donc, je sais le chemin, mais ce n'est pas fini, ça continue jusqu'à la fin et encore après.
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