Bande dessinée : Riad Sattouf et Esther reviennent après avoir été confinés
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’auteur de bandes dessinées Riad Sattouf.
Auteur de bandes dessinées et réalisateur, Riad Sattouf se fait connaître grâce à ses séries comme Les pauvres aventures de Jérémie (2003-2005), Pascal Brutal (2006-2014) ou encore La vie secrète des jeunes dans Charlie Hebdo (2007-2012). C'est en 2015 que naissent Les cahiers d'Esther. Cette petite fille a bien grandi et on la découvre adolescente dans ce tome 6 intitulé Histoires de mes 15 ans chez Allary Editions.
franceinfo : Cela fait six ans que vous dessinez cette petite puce devenue adolescente voire 'adulescente'. Ce tome est particulier parce que vous l'avez réalisé en pleine période de pandémie. Cette dernière a changé votre regard sur la vie ?
Riad Sattouf : Je suis Esther depuis ses 9 ans et je vais essayer de continuer jusqu'à ses 18. Celui-ci, en effet, a été un peu particulier parce qu'elle entrait au lycée, pleine d'enthousiasme. Esther avait envie de croquer la vie à pleines dents et elle se prend le coronavirus sur la tronche, comme tout le monde. Elle s'est retrouvée confinée dans son petit appartement à Paris avec sa famille. Alors, c'était amusant à observer car on vivait la même chose. Pour cette bande dessinée, je faisais une page par semaine et je ne savais pas trop où ça allait nous mener : est-ce que ça allait nous mener à la fin du monde ou est-ce qu'on allait se sortir de la pandémie ?
L'idée des "Cahiers d'Esther" est de m'inspirer des histoires vraies d'une véritable jeune fille.
Riad Sattoufà franceinfo
Ce partage entre Esther et vous, a-t-il changé votre regard ?
Comme tout le monde, je vieillis. Les années s'éloignent et on oublie un petit peu l'ado ou le jeune qu'on a été. Mais c'est vrai que de rester connecté avec le jeune âge est quelque chose qui me plaît beaucoup. Cela permet de garder une vision un peu plus enthousiaste et positive. Aussi, on se rend compte des difficultés qu'il y a à être jeune à notre époque. J'ai le sentiment que c'est vraiment compliqué pour ces jeunes. Ils ont des horizons qui semblent un peu fermés alors qu'ils ont envie de faire plein de choses. Plus les années passent, plus je me dis que l'idée de faire un revenu universel pour tous les jeunes est une excellente idée.
Vous êtes né à Paris et vous avez grandi en Syrie et en Libye. Ce sont Les aventures de Tintin qui vous ont donné envie de vivre à travers un monde à la fois imaginaire et réaliste ?
Oui, tout à fait. C'est vrai que je lisais les bandes dessinées de Tintin que ma grand-mère bretonne m'envoyait dans mon village en Syrie. C'est vrai que, comme beaucoup de dessinateurs, le dessin a été tout de suite une évidence. J'ai passé ma jeunesse à dessiner. Quand il y a eu le confinement, personnellement, ça n'a rien changé à mon existence. Je suis confiné toute la journée dans mon bureau à faire mes dessins. Je me rappelle d'Esther se plaignant de ne pas pouvoir voir ses amis et je me souvenais de ma propre adolescence, en me disant qu'en fait, je n'avais pas trop d'amis, je restais chez moi à dessiner. C'est vrai que nous, les dessinateurs, on a souvent la même histoire : on est enfermés dans notre petit univers à essayer d'écrire des histoires, on s'en raconte. C'est passionnant. Quand on aime quelque chose, on le fait à fond.
Vous êtes entré à l'École régionale des Beaux-Arts de Rennes puis à l'école Pivaut. C'est à l'école des Gobelins que vous allez être repéré. Vous aviez des prédispositions ?
Je crois que la prédisposition que j'avais, c'est que j'avais une grand-mère qui me considérait légèrement meilleur que Picasso. Cette confiance qu'elle pouvait donner, évidemment, ça porterait n'importe qui.
Dans ce qui accompagne cet ouvrage. Il y a un petit commentaire d'Esther qui dit : "Pour lire, il faut être mature". Cette maturité, est-ce qu'on l'acquiert à un moment donné ou pas ? Et ne reste-t-on pas toutes et tous un peu 'adulescents' ?
Justement, je ne pense pas. Je rencontre de plus en plus d'enfants qui lisent mes bandes dessinées. Quand je les ai écrites, je ne les destinaient pas aux enfants. C'était parfois un peu brutal, violent, marrant, mais ce n’était pas de la BD jeunesse. Il y a des enfants qui comprennent parfaitement les miennes. Je me dis souvent que la maturité ne dépend pas forcément de l'âge. Il y a des gens de 80 ans qui sont totalement immatures et qui ne peuvent pas comprendre certaines choses.
En 2014, il y a cette reconnaissance internationale avec votre BD autobiographique L'Arabe du futur, "Où tout est vrai", c'est vous qui le dites. Vous recevez Le Prix du meilleur album à Angoulême et des articles élogieux dans le New York Times. Ce livre a changé votre vie ?
Certainement. Quand j'allais dans une librairie avant L'Arabe du futur, j'étais un peu seul à ma table et j'attendais que les lecteurs viennent me voir. Maintenant, il y a plein de gens qui sont très heureux de venir me rencontrer. Quand j'étais enfant, je faisais la queue pour des auteurs de BD pour avoir un petit dessin et leur dire que je les aimais. Ça me fait donc très plaisir d'aujourd'hui de pouvoir vivre ça.
Chaque livre change un peu la vie de son auteur.
Riad Sattoufà franceinfo
À quoi rêviez-vous, enfant ?
De devenir auteur de bande dessinée. D'être une sorte de Saint-Exupéry de la BD. Je rêvais d'être Mœbius, d'être Philippe de Riley ou Bilal.
Quel regard portez-vous sur ce parcours ?
J'essaie de ne pas trop y penser. Je me dis tout le temps que j'ai encore envie de faire des livres, de profiter de la liberté d'expression qu'on a en France. J'ai eu la chance d'avoir pas mal voyagé et d'avoir grandi au Moyen-Orient, dans des pays où l'expression artistique, la liberté de parole est complètement inexistante. On se rend compte à quel point c'est une chance incroyable d'habiter dans un pays comme la France. J'ai beaucoup de chance de pouvoir faire mes livres dans les conditions dans lesquelles je les fais et je vais continuer.
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