Abd Al Malik : "Il n'y a qu'une seule communauté qui compte, c'est la communauté humaine"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, le rappeur et écrivain Abd Al Malik.
Rappeur, écrivain, metteur en scène et réalisateur français, c’est en 1988 qu’Abd Al Malik fonde le groupe de rap N.A.P, pour New African Poets, avec son frère et son cousin. Aujourd'hui, il publie Réconciliation aux éditions Robert Laffont avec le mot "poète" en toile de fond, une sorte de guide spirituel, humain, intellectuel aussi.
Elodie Suigo : La poésie c'est l'un de vos socles. Pour vous, est-ce l'un des fondements même de l'existence et du mieux vivre ensemble ?
Abd Al Malik : Profondément. J'ai le sentiment que notre fonction à tous est d'essayer, en tous cas, de poétiser notre existence, c'est-à-dire de magnifier le beau, de chercher la beauté en toutes choses. C'est ce dont je parle et c'est surtout ce que j'essayais d'être et de faire.
À travers ces pages, on apprend encore plus à vous connaître. J'ai appris que vous aviez été dyslexique et que c'est en luttant contre cette dyslexie que vous avez vraiment réussi à vous épanouir.
C'était une vraie victoire mais je pense que je l'ai vraiment ressentie a posteriori. Quand j'étais dyslexique, je subissais la différence, l'isolement. Ne plus l'être, c'est comme passer de l'obscurité à la lumière. Tout d'un coup, on se rend compte qu'effectivement, la vie, c'est fabuleux, les livres sont fabuleux, les mots sont fabuleux et c'est ce qui permet vraiment de faire du lien, de partager et d'échanger avec les autres, de dialoguer. Pour moi, c'est plus qu' essentiel, c'est vital.
Ce livre est né d'une profonde tristesse par rapport à un déferlement sur les réseaux sociaux liés à une prise de position que vous avez eu pour soutenir les victimes des attentats de Charlie Hebdo juste avant le début du procès. Vous démarrez ce livre en disant : "Je suis mort pour la France devant l'écran de mon iPhone". C'est fort.
C'est vrai ! Avant, lorsqu'il n'y avait pas les réseaux sociaux, j'ai l'impression qu'on pesait les mots, il y avait un peu de retenue d'une certaine manière et de la tenue au sens intellectuel du terme. Avec les réseaux sociaux, on peut dire tout et n'importe quoi, on peut être d'une violence extrême sans même se rendre compte de cette violence et donc je voulais dire ça.
Ne jamais oublier que les mots blessent, les mots tuent mais ils peuvent aussi magnifier, élever et peut-être redonner de l'importance aux mots, c'est aussi remettre l'humain au centre
Abd Al Malikà franceinfo
Deux mots résonnent et sont indissociables à vos yeux : liberté et laïcité. Appuyez-vous dessus car vous pensez que ce sont nos derniers recours ?
Oui je pense véritablement, et plus encore je pense qu'au-delà de ces mots, c'est le fait d'incarner ces mots. C'est pour ça qu'il y a ce long chapitre où je parle de Juliette Gréco. Ce n'était pas juste mon amie, c'était la France incarnée avec tout ce que ça engendre d'amitié, d'amour, de respect, etc. Je pense que c'est à ça que l'on doit parvenir, incarner les choses véritablement.
Vous dites d'ailleurs qu'à aucun autre moment vous n'avez ressenti autant d'apaisement avec vous-même que quand vous avez vécu avec elle, tellement elle incarnait effectivement cette France, cette République.
Ce besoin d'union, d'unifier mais aussi le fait de magnifier les valeurs que sont la justice, la liberté, elle était comme ça et pour moi, c'est ça la France. Représenter, ça veut dire incarner, ça veut dire dans notre être au monde, dans notre rapport aux autres et Juliette, elle était comme ça vis-à-vis de moi mais c'est parce qu'aussi elle m'a reconnu en tant que membre de cette France, moi aussi, et c'est ce qui permet la réconciliation, c'est-à-dire le regard qu'on porte sur l'autre mais aussi le regard qu'on porte sur soi.
Vous dites aussi qu'il faut mettre fin à toutes les formes de communautarisme.
Oui. Pour moi, il n'y a qu'une seule communauté qui compte, c'est la communauté humaine. On doit se penser comme ça, se penser en tant que Français, se penser en tant qu'Européen, se penser en tant qu'habitants du monde, peuple du monde. Si on a envie aussi de faire la paix avec l'Afrique, faire la paix avec l'Asie, faire la paix avec le Moyen-Orient, etc, et vivre dans un monde de paix. Mais c'est possible et la France peut et doit être aux avant-gardes de cette démarche-là puisque ça fait partie de notre ADN et de notre histoire.
Vous mettez le doigt aussi sur certaines choses qu'il faut changer. Il y a un vrai no man's land entre ce qu'on ressent et le moyen de l'exprimer. Est-ce que cela veut dire que ça passe aussi par l'éducation, l'accès à la culture, aux livres, à la littérature ?
Profondément, parce qu'on parle par exemple de l'importance de la paix, de l'importance du dialogue mais si on n'est pas éduqué au dialogue, à la culture de la paix, ça ne peut pas fonctionner. Ça, ça passe par l'éducation donc le rôle sacro-saint des enseignants, et pour ça, c'est fondamental. Ça m'a sauvé la vie. Sans la culture, sans l'éducation, je ne serais pas là en train de vous parler.
Enfant, vous aviez commencé à mal tourner. Les livres vous ont fait sortir d'un certain nombre de blessures. Est-ce qu'aujourd'hui vous vous aimez ?
Je dirais que je m'aime beaucoup même, mais ça fait partie du cheminement. D'abord, il y a le fait de s'aimer, de se réconcilier avec soi-même et ensuite, il y a l'autre étape qui est plus compliquée forcément et on le voit, c'est d'être en paix avec les autres.
À partir du moment où nos valeurs sont des valeurs qui ne rejettent pas l'autre et au contraire, qui sont des valeurs inclusives, je pense qu'on ne peut pas se tromper. À partir du moment où on aime, on ne peut pas se tromper
Abd Al Malikà franceinfo
Vous avez un pilier dans votre vie, c'était votre maman. Que représente-t-elle ?
Un être sur lequel véritablement je peux me reposer et qui m'a donné la force, qui a eu confiance en moi, qui continue à avoir confiance en moi. C'est important parce qu'on est un enfant et puis on est face à des parents et comment ils nous regardent ? Est-ce qu'ils nous regardent avec amour ? Est-ce qu'ils nous rabaissent ? Est-ce qu'ils nous donnent de la force ? Est ce qu'ils nous en enlèvent ? Et ça commence-là.
Le premier album que vous avez sorti s'appelait "Le face à face des cœurs". Pour vous, l'intelligence, il faut qu'elle soit un peu plus sexy ?
On doit rendre l'intelligence sexy. Moi, je suis d'une génération où plus on était intelligent, plus on avait une culture livresque forte, plus on était attirant. J'ai envie de revenir à ça, j'ai envie de mettre ma pierre à l'édifice.
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