Conférence de Paris sur l’Ukraine : "Il faut saisir ce moment pour dire que la pente vers la défaite n'est pas inéluctable", plaide l'historien Justin Vaïsse
"Il faut saisir ce moment pour dire que non, la pente vers la défaite n'est pas inéluctable", a plaidé ce lundi sur franceinfo l'historien Justin Vaïsse, fondateur et directeur général du Forum de Paris sur la paix, quelques heures avant la Conférence de Paris sur l'Ukraine. Emmanuel Macron reçoit 21 chef d'État et de gouvernement lundi 26 février pour redonner un nouveau souffle au soutien à l'Ukraine en guerre depuis deux ans. "C'est l'heure de l'Europe", prévient-il.
franceinfo : Emmanuel Macron réunit une vingtaine de dirigeants à l'Élysée pour "clarifier" et "massifier" le soutien européen à l'Ukraine. Qu'y-a-t-il derrière cela ?
Justin Vaïsse : C'est l'heure de l'Europe. Ce qu'il s'est passé au cours des derniers mois, c'est que tout le monde a pris conscience que Donald Trump pouvait arriver en novembre prochain. Et puis il y a eu une deuxième vague qui tient au fait que cette arrivée de Trump a été en quelque sorte précédé par son action au Congrès. À travers ses élus républicains, il a bloqué toute aide à l'Ukraine, ce qui fait que, depuis début janvier, l'Europe est seule à soutenir l'Ukraine. On s'attendait à ce que l'administration Biden soutienne fermement l'Ukraine jusqu'en novembre mais on s'aperçoit que, par l'intermédiaire du Congrès qui bloque les financements et l'aide militaire, on est tout seul depuis le 1ᵉʳ janvier. Les Européens savent qu'ils sont seuls, qu'ils doivent en faire plus. Maintenant il faut que les fournitures suivent.
D'où le terme "massifier" utilisé par l'Élysée qui évoque un changement d'échelle ?
Exactement. Rappelons que l'Ukraine a fait face à plusieurs problèmes. C'est un pays d'un peu plus de 40 millions d'habitants contre un pays de 140 millions d'habitants. Ce n'est pas une grande économie et donc l'Ukraine a besoin de ce soutien pour résister à l'envahisseur, notamment de choses très concrètes telle la fourniture d'obus, des pièces d'artillerie et d'autres types d'armement que lui fournissent les Occidentaux.
Peut-on s'attendre à de nouvelles annonces après l'aide européenne de 50 milliards d'euros sur quatre ans décidé le 1er février dernier ?
On peut espérer en effet qu'il y ait des annonces tout à l'heure. Mais encore plus important est le moment de cristallisation, de prise de conscience et il faut saisir ce moment pour dire que non, la pente vers la défaite n'est pas inéluctable. La guerre ça va, ça vient. On le sait bien, la Première Guerre mondiale est la bonne analogie à mon avis pour cette guerre d'Ukraine. C'est un moment difficile pour l'Ukraine, mais on peut espérer que les Européens seront en effet encore à ses côtés pendant de nombreux mois et de nombreuses années.
Avec cette prise de distance des États-Unis, est-ce que cela oblige les Européens à repenser complètement leur logiciel, notamment la question du fonctionnement de l'Otan ? Est-ce que cela implique un passage à une "économie de guerre" ?
Oui, d'une part le fonctionnement de l'Otan et d'autre part, ce qui est le plus important, l'industrie d'armement, c'est-à-dire la fourniture d'armes à l'Ukraine qui, pour l'instant, est très en retard. On avait promis aux Ukrainiens un million d'obus pour mars prochain, on n'y sera pas du tout. Ce ne sera probablement que début 2025. On n'est pas en économie de guerre. Mais pour l'instant, les chaînes de production n'ont pas été bouleversées pour produire à grande vitesse ce qu'il faut pour les Ukrainiens. Il y a souvent des effets d'annonce lors des rencontres, lors des grands sommets mais sur le terrain, les armes tardent à arriver. Alors les Ukrainiens se débrouillent, ils bricolent avec des imprimantes 3D, ils fabriquent des drones eux-mêmes, etc. Mais il est très important que les dirigeants occidentaux non seulement fournissent plus d'armements, mais les livrent à temps également.
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