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Le décryptage éco. Présidentielle : pourquoi 25 Nobel d’économie dénoncent les candidats antieuropéens

Vingt-cinq prix Nobel ont publié mardi une lettre ouverte pour dénoncer les programmes antieuropéens de certains candidats. Le décryptage de Vincent Giret.

Article rédigé par franceinfo, Vincent Giret
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Billets d'euro. (THOMAS MUNCKE / DPA)

La démarche est inhabituelle : 25 prix Nobel d'économie ont publié mardi 18 avril une tribune pour dénoncer les programmes antieuropéens de certains candidats. C’est un événement dans le monde académique, jamais encore des chercheurs auréolés du prestige de leur prix Nobel ne s’étaient ainsi mobilisé en masse lors d’une échéance électorale d’un pays européen.

25 prix Nobel d’économie, c’est considérable. Il y a parmi les signataires les neuf derniers, de multiples nationalités, beaucoup d’Américains, des Européens, un Indien. Que du très beau monde, représentant un éventail très large de sensibilités. Les uns, comme l’Américain Joseph Stiglitz, incarnent le nouveau keynésianisme, c’est à dire qu’ils croient plus que jamais à l’importance de l’Etat et de ses moyens d’action dans les périodes de crise. D’autres, comme le Français Jean Tirole, croient davantage à la puissance du marché pour peu qu’il soit bien régulé. D’autres encore, tel l’Indien Amartya Sen, ont travaillé toute leur vie sur la pauvreté et les moyens de l’éradiquer.

Marine Le Pen s'était prévalue du soutien de 12 Nobel... Dont trois décédés

Ce qui a piqué au vif ces économistes les plus influents au monde, c’est le fait que Marine Le Pen et ses équipes s’étaient prévalus, à plusieurs reprises, et notamment dans la grande émission C’est politique de France 2, du soutien de 188 économistes, dont 12 prix Nobel (lien vers un PDF), pour justifier la clé de voute de son programme, c’est à dire l’abandon de l’euro par la France. Les Nobel lui répondent – les vivants, car sur les 12 cités par Le Pen, trois sont décédés il y a un certain temps déjà, ce qui n’avait pas empêché Marine Le Pen d’ailleurs de les compter parmi ses soutiens.

Sur le fond, c’est un texte millimétré, court, efficace, en six points. Le premier : "La construction européenne est capitale non seulement pour maintenir la paix sur le continent mais également pour le progrès économique des Etats membres et leur pouvoir politique dans le monde." Le deuxième : "Les évolutions proposées par les programmes antieuropéens déstabiliseraient la France et remettraient en cause la coopération entre les pays européens qui assure aujourd’hui une stabilité économique et politique en Europe."

Les Nobel d’économie visent plus large que le seul Front national. Il y a à l’évidence, d’autres candidats antieuropéens dans cette campagne. Ils s’en prennent ensuite violemment au protectionnisme, au repli national et aux dévaluations compétitives qui susciteront des représailles et qui entraîneront de dangereuses guerres commerciales.

La tribune n'est pas un plaidoyer pour l'euro mais pointe le danger d'en sortir

Certains de ces économistes ont parfois violemment critiqué l’euro. C’est le cas par exemple de l’Américain Joseph Stiglitz. Mais ces économistes affirment dans leur lettre ouverte "qu’il y a une grande différence entre choisir de ne pas rejoindre l’euro en premier lieu et en sortir après l’avoir adopté". Chaque mot a été pesé. En clair, tous n’auraient pas prôné la mise en place d’une monnaie unique en Europe, ou en tout cas, sans avoir construit au préalable des institutions plus fédérales de solidarité, avec un budget européen, des emprunts communs, des mécanismes de transferts, etc. Mais tous aujourd’hui hurlent au feu et disent le danger d’une sortie de l’euro. "Alors que l’Europe et le monde font face à des épreuves sans précédent, disent les Nobel, il faut plus de solidarité et non pas moins. Les problèmes sont trop sérieux pour être confiés à des politiciens clivants." 

C’est totalement inédit. Beaucoup des signataires de cette lettre, et notamment celui qui l’a initiée, le Français Jean Tirole, cultivent d’ordinaire une grande discrétion et préfèrent les amphis et les labos de recherches aux estrades et la lumière des médias. Mais la situation politique leur semblent trop préoccupante, trop grave, trop sérieuse, pour se tenir aujourd’hui dans la réserve. Le message est d’une grande clarté.

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