Le décryptage éco. Ordonnances pour réformer le code du travail : fausses querelles et vraies questions
Petites manifestations, propos vengeurs à l’extrême droite et à l’extrême gauche, et même tribune martiale de la CFDT : le front social est-il déjà en train de se rallumer ?
C’est une première, une de plus, dans l’histoire de la Ve République. Le président vient tout juste d’être élu, la passation de pouvoir n’a pas encore eu lieu, on ne connaît même pas encore le nom du Premier ministre, ni même les contours de la prochaine majorité parlementaire, que déjà certains sonnent l’alarme, ou prennent des positions, comme à la veille d’un nouvel embrasement social national. Comme si chacun cherchait d’emblée à se placer avant un remake social du printemps dernier sur la loi El Khomri.
De quoi s’agit-il ? D’un projet annoncé par le candidat Emmanuel Macron d’une réforme du Code du travail en trois ordonnances. La première ordonnance doit concerner ce qu’on appelle l’inversion de la hiérarchie des normes. En clair, les entreprises pourront négocier sur presque tous les sujets, y compris les salaires, mais à une condition : obtenir un accord majoritaire des salariés, c’est à dire signé par des organisations syndicales représentatives, totalisant non pas 30 mais 50% des voix dans l’entreprise. Point très important : ceci n’est pas une transformation unilatérale du code du travail puisque les syndicats décideront ou non de s’en saisir. C’est un sacré verrou.
Le deuxième projet d’ordonnance concerne la fusion des institutions représentatives du personne. Cela peut paraître compliqué, mais c’est très simple et ce n’est pas le sujet le plus sensible. Il s’agit surtout d’une simplification : une seule instance représentative du personnel, à la fois pour le comité d’entreprise, le comité d’hygiène et sécurité, et les délégués du personnel. C’est une possibilité, déjà ouverte depuis 2015, elle serait désormais généralisée.
Le sujet de la troisième ordonnance est lui, plus sensible, c’est le plafonnement des dommages et intérêts accordés par les prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. C’est un projet qui était déjà présent dans la loi Macron, remis dans la loi El Khomri et que le Manuel Valls avait finalement retiré sous la pression des syndicats.
49.3 et ordonnances : plus que des nuances
Sur tout ces sujets, les débats, les rapports, les consultations ont été multiples au point qu’on pourrait faire la cartographie précise et complexe des points d’accords et de désaccords pour chacun des partenaires sociaux.
Mais ce qui inquiète davantage, c’est la méthode des ordonnances. Et là encore il y a beaucoup de confusion. Beaucoup confondent plus ou moins volontairement la mécanique des ordonnances et le 49.3, cet article de la Constitution qui permet un vote bloqué et qui s’apparente donc, lui, à un passage en force du gouvernement. Le 49.3 que Manuel Valls avait utilisé, contre le souhait d’Emmanuel Macron, pour faire passer sa loi, et dans le cas aussi de la loi travail El Khomri.
Mais une ordonnance n’est pas un vote bloqué : elle accélère le tempo, mais elle ne contourne nullement le Parlement : les députés sont même consultés deux fois et, surtout, ils votent deux fois. D’abord sur le projet d’une loi d’habilitation, qui permet au gouvernement d’utiliser cette méthode, puis une seconde fois à la fin du processus pour que le contenu des ordonnances devienne des lois. Autant d’occasion de discuter, de donner son avis et d’amender si besoin était.
Un test sur l'efficacité en politique
Chacun, bien sûr, peut et doit se faire son opinion sur chacun des points, et notamment sur leur impact réel. Mais la question que posent ces réformes est celle de l’efficacité du politique, une question centrale, qui est cœur de la défiance que beaucoup de Français manifestent aujourd’hui.
Emmanuel Macron sait qu’il est très attendu sur cette question de l’efficacité. Cette affaire sera donc un test : voilà des sujets qui sont sur la table depuis très longtemps, sur lesquels il y a déjà eu des milliers d’heures de consultations et de rapports, où chacun a pu s’exprimer. Si le politique ne peut pas trancher et avancer, au lendemain d’une élection présidentielle et la constitution d’une nouvelle majorité, alors c’est la question de l’efficacité de nos démocraties qui sera en question.
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