L'économie libyenne totalement déstabilisée
Le drame humanitaire qui se déroule sous nos yeux en Méditerranée, ne prendra sans doute pas fin tant que la Libye ne retrouve pas un peu de paix, de sécurité et un minimum de prospérité. Sur le papier, le chaos économique qui sévit aujourd’hui n’était pas inéluctable. Il y a moins d’un an, juste avant l’été 2014, quand éclate alors le conflit avec les milices islamistes, la Libye affiche des résultats économiques assez mirobolants : son indicateur de richesse, c’est à dire le Pib par habitant, est le plus élevé de toute l’Afrique : devant celui du Maroc, de l’Afrique du Sud ou du Nigéria, et même si on élargit un peu la zone, devant celui de la Turquie. La croissance rebondit après la chute de Kadhafi et les troubles qui ont suivi, à plus de 10%, alors que la Libye avait déjà connu au cours de la première décennie du siècle une croissance flamboyante. Les 6 millions de Libyens commencent à en profiter, une élite et une classe moyenne émergente jouissent sans modération d’une consommation effrénée.
Le ressort de cette croissance, c’est le pétrole
Et oui, bien sûr. Et le pétrole c’est à la fois une chance inouïe, mais aussi un risque si ce n’est une malédiction. La Libye, qui est un pays jeune, unifié et indépendant depuis 1951, après avoir été une colonie italienne, a découvert quelques années plus tard que son sous-sol regorgeait de pétrole et de gaz : elle va vite devenir le premier pays producteur de pétrole de toute l’Afrique. Les experts estimaient récemment que les réserves de la Libye s’élèvent à 94 ans pour le gaz et à 75 ans pour le pétrole, en tablant sur une production moyenne normale. C’est dire, la richesse potentielle considérable de ce pays. La Libye de Kadhafi a donc fait le choix du pétrole, du tout pétrole même, et c’est là le problème. Une économie de rente anesthésie en général toute velléité de développement de la production des biens et services. Tout s’achète à l’extérieur. L’économie est totalement dépendante des vicissitudes des cours du pétrole, tandis que s’installe dans la population une culture de rentiers, qui favorise la corruption et aboutit à faire venir de d’Afrique et même d’Asie, une main d’œuvre pas chère et malmenée pour faire tourner le pays et accomplir les tâches les plus ingrates.
Et aujourd’hui, l’économie libyenne est totalement déstabilisée ?
C’est le moins qu’on puisse dire, Fabienne. Il n’y a plus une mais au moins trois économies superposées. D’abord, chacun des deux camps qui se disputent le pouvoir a mis la main sur une partie des puits de pétrole et a constitué sa propre structure de vente et d’exportation, l’une à Benghazi, l’autre à Tripoli. Pendant la guerre, le commerce continue. Et une troisième économie informelle s’est installée : c’est l’économie du crime et de la mafia des passeurs, qui rançonnent ces dizaines, ces centaines de milliers d’Africains qui tentent de fuir leur continent. Cette mafia n’a pas seulement l’appétit de l’horreur et du gain, infiltrée par les djihadistes, elle poursuit une déstabilisation politique de l’Europe en provoquant par la terreur ces vagues migratoires. Dans une courte histoire, la Libye et son économie ont déjà vécu plusieurs vies. Et celle d’aujourd’hui est aussi un immense gâchis.
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