Crise grecque : l'intransigeance allemande décryptée
Il y a un consensus très fort en Allemagne, qui transcende les grandes familles politiques, en faveur d’une exclusion de la Grèce de l’euro. Partout ailleurs, les opinions sont partagées, comme en France, mais pas en Allemagne. On ne le dira jamais assez, mais la monnaie, c’est de la culture, c’est de l’histoire. Chaque peuple a la sienne, forgée dans des épreuves inscrites dans la longue durée historique. La monnaie est tout sauf un outil neutre d’échanges. C’est vrai pour le dollar comme pour le franc, et plus encore pour le mark, le deutschemark que les Allemands ont abandonné, le plus souvent à contrecœur, pour bâtir une monnaie commune avec leurs voisins européens.
L’épisode ou plutôt le traumatisme fondateur pour nos voisins allemands restent celui des années 20. Le cauchemar est gravé à la date du 20 novembre 1923 : ce jour-là, les Allemands sont appelés à échanger leurs marks contre une nouvelle monnaie, le Rentenmark. Il faut donner 1.000 milliards de marks pour obtenir 1 Rentenmark ! La bulle de l’hyper-inflation vient d’exploser, entraînant la destruction de la monnaie et de l’épargne, ruinant des millions de ménages.
Et ce cataclysme là reste gravé dans toutes les mémoires allemandes ?
Oui, et pour une raison profonde, c’est que les Allemands considèrent que ce désastre monétaire a mis le feu à l’Europe et préparé l’arrivée au pouvoir des nazis. Bref, en schématisant, voilà pourquoi une mauvaise gestion des comptes publics conduit non seulement à la ruine mais à l’abomination pure et simple. De cette histoire-là, va découler un rapport au politique singulier, une morale politique, toute teintée de protestantisme, un imaginaire, qui structure toute la culture politique allemande. Certes une partie de dettes du troisième Reich ont bien été effacées dans les années 50, mais pas avant que les Allemands aient fourni un énorme effort de reconstruction et de refondation de la démocratie, dans un système politique où les pouvoirs sont très équilibrés, où une personne fut-elle chancelier ou chancelière ne peut rien décider seul. Et c’est ce système et cet état d’esprit qui ont jeté les bases de la prospérité allemande.
Mais est-ce que cette histoire là n’est pas anachronique dans l’Europe d’aujourd’hui ?
Peut-être, mais vous aurez du mal à en convaincre les Allemands. Même si nous sommes nombreux à considérer aujourd’hui que l’excédent budgétaire allemand est non seulement anachronique, mais aussi une erreur et même une faute politique dans un contexte de crise européenne. Il reste qu’Angela Merkel sera la première à rappeler à Alexis Tsipras quelques vérités : il n’y a pas d’union monétaire viable sans confiance entre partenaires, sans aussi des règles, pour ne pas dire une discipline commune. Personne ne peut en faire qu’à sa tête, sauf à affaiblir tous les autres. Bref, c’est la fameuse dialectique reprise lundi soir par Angela Merkel et François Hollande, entre responsabilité et solidarité. Après six mois de tergiversation et d’atermoiements, jamais la voie n’a paru si étroite.
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