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Prix Nobel de la paix : les choix passés et controversés du comité en Birmanie et en Éthiopie

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction la Birmanie et l'Éthiopie, deux pays qui abritent des prix Nobel de la paix désormais contestés.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Verlin - Noé Hochet-Bodin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Aung San Suu Kyi devant la Cour internationale de justice en décembre 2019. (DAVID MORALES URBANEJA / EFE)

Le prix Nobel de la paix a récompensé vendredi 8 octobre deux journalistes d'investigation, la Philippine Maria Ressa et le Russe Dimitri Mouratov. "Le journalisme libre, indépendant et factuel sert à protéger contre les abus de pouvoir, les mensonges et la propagande de guerre", a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien. Un comité qui a parfois décerné le prestigieux prix à la mauvaise personne, par exemple en Birmanie et en Éthiopie.

En Birmanie, la chute d'une icône

Lorsqu’Aung San Suu Kyi reçoit le prix Nobel en 1991, elle est encore assignée à domicile par le régime autoritaire au pouvoir. Le prix saluait le symbole du combat pour la liberté qu’elle représentait. Lorsque son gouvernement a été élu au pouvoir en 2015, les démocraties occidentales ont toutes pensé voir le pays enfin basculer dans une ère de liberté. Mais en réalité, elles ont déchanté assez vite, à cause de la réaction d’Aung San Suu Kyi sur des sujets majeurs. Il y a eu la crise des Rohingyas en 2017. Face à la Cour internationale de justice, elle a défendu les militaires, qui étaient accusés de génocide de l’ethnie Rohingya, en expliquant que la Birmanie était un pays aux rapports ethniques complexes. À ce moment-là, l'Europe a ouvert les yeux et a commencé à se dire qu’il y avait peut-être une autre facette à cette personne, un temps érigée comme une figure parfaite de la démocratie.

Le gouvernement d'Aung San Suu Kyi a aussi été accusé de s’en prendre à des journalistes et des activistes. Ils dénonçaient des failles dans le système politique du pays, comme le célèbre cas des journalistes Wa Lone et Kyaw Soe Oo, qui enquêtaient sur l’assassinat de Rohingyas par l’armée birmane. Ils sont restés plus d’un an en prison avant d’être pardonnés. 

Malgré tout, Aung San Suu Kyi reste largement populaire dans son pays. Le débat à l’étranger pour trancher si elle mérite ou non son prix Nobel n’existe quasiment pas en Birmanie. Mais elle est tout de même critiquée par certaines minorités. Les multiples ethnies qui composent la population birmane réclament depuis des années plus de droits et d’autonomie. Dans ces zones, Aung San Suu Kyi a l’image d’une politicienne qui ne s’est pas battue pour défendre les droits des ethnies, elle incarne un gouvernement qui voudrait plutôt lisser le pays. Pour ces populations, un peu de sang neuf en politique serait bienvenu.

En Éthiopie, un Nobel devenu chef de guerre

11 mois. C’est le temps qui sépare le discours d’Abiy Ahmed, jeune Premier ministre Éthiopien, à la tribune du comité Nobel à Oslo, du début de la guerre du Tigré. Pour beaucoup, notamment en Europe, le rapprochement entre ces deux dates a particulièrement choqué. Car Abiy Ahmed, 43 ans à l’époque de son prix Nobel en 2019, cochait toutes les cases du réformateur, prêt à panser les plaies de l’Éthiopie, un pays tiraillé par les tensions intercommunautaires. Il est présenté comme l'artisan de la paix avec l'Érythrée voisine. En Norvège, il avait notamment présenté sa nouvelle doctrine : la philosophie du Medemer, un mot amharique qui signifie "synergie". Il annonçait la fin de l’esprit de revanche dans le pays de la corne de l’Afrique. 

Pourtant, il semble que ce soit cet esprit qui l’ait emporté en novembre 2020, alors que son gouvernement et la province du Tigré sont entrés en guerre. Le conflit dure depuis presque un an et a créé son lot de destruction, avec très probablement des dizaines de milliers de morts. Aujourd’hui, au moins 400 000 personnes ont franchi le seuil de la famine dans le nord de l’Éthiopie à cause des combats. Les rebelles tigréens et Abiy Ahmed se rejettent la faute quant aux causes du conflit, avant tout politique. 

Abiy Ahmed a radicalement changé d’image. On le voit parfois arborer un uniforme militaire pour mobiliser ses troupes. Il a même appelé à la mobilisation générale des jeunes Éthiopiens pour aller se battre contre les rebelles tigréens. Une sorte de conscription qui lui a permis de lever une armée de miliciens pour aller se battre contre les rebelles du Front de libération des peuples du Tigré. Ce parti qu’il qualifie parfois de "junte", mais aussi de "cancer" et de "mauvaise herbe qui doit être déracinée de la terre éthiopienne". Cette rhétorique, bien sûr, fait peur et a forcé les États-Unis à réagir pour éviter la généralisation de ces appels à la haine. Ancien espoir de la communauté internationale, Abiy Ahmed s’est révélé être chef de guerre en moins de deux ans.

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