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La guerre en Ukraine jusque sur scène en Espagne, en Roumanie et en Russie

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, le secteur de la culture touché, directement ou par ricochet, par la guerre en Ukraine.

Article rédigé par franceinfo - Paul Cozighian, Marie-Hélène Ballestero
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
L'actrice Chulpan Khamatova, le 18 octobre 2018, à Londres. (JW / MAXPPP)

La guerre en Ukraine a des conséquences aussi dans le milieu de la culture. En Russie, nombre d'artistes ont dû fuir le pays, tandis que, par solidarité avec les Ukrainiens, à Madrid, le Teatro Real a décidé d’annuler les représentations du Ballet russe du Bolchoï prévues en mai prochain. En Roumanie, à Bucarest, le syndicat des acteurs du Théâtre national s'est chargé, avec son propre bus, de deux transports de réfugiés, de la frontière vers Bucarest.

En Russie, la peur et la fuite

En Russie, la guerre en Ukraine a aussi des conséquences à l'intérieur du pays. Car si l’on a beaucoup parlé de la vague de répression qui s'est abattue sur les médias indépendants qui ont été obligés de fermer, les militants des droits de l'Homme poursuivis et obligés de quitter le pays, des manifestants arrêtés et emprisonnés, le monde artistique est également touché de plein fouet... De nombreux acteurs, réalisateurs ont fui la Russie ces dernières semaines et ceux qui restent sont souvent en plein désarroi.

Combien sont-ils à avoir quitté le pays ? Difficile à dire mais plusieurs acteurs du monde du théâtre nous ont confirmé que l'exode était massif. Les comédiens sentent qu'eux aussi sont mis en danger par les nouvelles lois qui interdisent le mot guerre, la propagande qui impose le narratif d'une opération de libération de l'Ukraine. La plus célèbre de ces exilés, l'actrice Chulpan Khamatova, qu'on a notamment vue en France dans le film Goodbye Lenine est aujourd'hui réfugiée en Lettonie, et elle n'envisage pas de revenir. "Je ne peux pas appeler une guerre avec d’autres mots, souligne-t-elle. Je ne pourrai pas dire d’une tragédie que c’est une libération. Si je veux rentrer en Russie, il faudra que j’arrête de dire que c’est une guerre, que je demande pardon pour ne pas avoir soutenu l’opération militaire depuis le début…" "Moscou les grands théâtres fonctionnent toujours mais leurs directeurs se taisent de peur de perdre leurs subventions. Aujourd'hui, nous sommes perdus, explique Matvey Matveev, comédien. Quoique nous disions, nous avons peur que cela soit mal interprété..."

À Bucarest, la culture au secours des réfugiés

En Roumanie, le monde de la culture a participé à l'accueil des réfugiés fuyant l'Ukraine voisine dès les premiers jours de l'invasion russe. Le syndicat des acteurs du Théâtre national de Bucarest a ainsi pris en charge deux transports de réfugiés, de la frontière vers Bucarest, avec le bus du théâtre. "Cette tragédie du peuple ukrainien nous a unis dans un objectif commun : celui d’aider, explique l’acteur Mihai Calin, l’un des leaders de ce syndicat. Nous nous sentons utiles d’une manière ou d’une autre : nous avons un sens dans cette période." Mihai Calin a voulu aller plus loin : "À la fin d’un spectacle intitulé No man’s land, j’ai voulu faire, avec un autre collègue acteur, un message de solidarité avec le peuple ukrainien et surtout avec les artistes ukrainiens qui meurent là-bas... Ils sont bombardés et ils demandent de l’aide. Le théâtre de Marioupol a été détruit."

Le but était de démarrer une campagne pour récolter des fonds pour aider l’Ukraine. Mais le directeur du théâtre, acteur lui aussi, s’est opposé car sur scène, dit-il, il s’agit de faire "uniquement ce que le metteur en scène a décidé". "Tu peux faire de la politique si le texte te permet de faire un message politique, mais seulement dans le texte et à l’intérieur du spectacle, soutient Mircea Rusu. Pas avec des considérations personnelles. C’est interdit ! Après le spectacle tu peux sortir dans la rue et faire ce que tu veux !" Mais la polémique a continué car la direction a également refusé d’illuminer le bâtiment dans les couleurs du drapeau Ukrainien. Davantage sensible à la menace russe - qui pèse sur la Moldavie et la Roumanie - qu’au martyr des Ukrainiens, le directeur a fini par accepter que des projecteurs affichent sur la façade du Théâtre national le message en anglais : "Poutine, arrête la guerre !"

Les deux camps ont toutefois retrouvé une même voix, lorsque la question de suspendre éventuellement les auteurs russes du répertoire a été maladroitement posé par une journaliste de télévision : "Je n’ai pas entendu une seule voix en Roumanie s’élever contre la culture russe, insiste Mircea Călin. Personne n’a dit qu’il faudrait éliminer Tchekhov, Tourgueniev, Tchaïkovski ou Dostoïevski... non, non !" Pour conclure, le directeur du Théâtre national, l’acteur Mircea Rusu, nous dit que si Tchekhov ou Gogol seraient ressuscités, ils seraient sans aucun doute les plus farouches opposants de Poutine et de son régime.

En Espagne, l’Opéra de Madrid annule le Ballet du Bolchoï

Face à la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, à Madrid, le Teatro Real a décidé d’annuler les six représentations du Ballet russe du Bolchoï qui étaient prévues en mai prochain. À travers un communiqué de presse, l’institution madrilène dit regretter "ne pas pouvoir compter sur cette prestigieuse compagnie, dont l'ancien directeur musical, Vladimir Urin, s’était publiquement prononcé en faveur de l’Ukraine et contre la guerre". Mais l’Opéra de Madrid ne veut pas rester impassible face à "ce conflit qui provoque une grave crise dans le monde et une douloureuse urgence humanitaire", peut-on lire.

Ce n’est pas la première fois que l’Opéra de Madrid rend hommage à l’Ukraine depuis le début du conflit : le 27 janvier, trois jours après le début de la guerre, l’institution madrilène avait déjà pris parti en se disant "choquée et consternée par la situation dramatique" que vivait l’Ukraine. Ce jour-là, à l’occasion de la dernière représentation de l’opéra de Wagner Le Crépuscule des Dieux, le Teatro Real avait voulu rendre "hommage aux victimes de la guerre", en enveloppant dans le drapeau ukrainien le cadavre de Siegfried, le personnage principal, tué dans la scène finale. Et ce n’est pas tout. Hasard du calendrier, l'opéra L’Ange de feu de Prokofiev, qui était né en Ukraine, vient de démarrer cette semaine à Madrid. Le Teatro Real a décidé que l’hymne ukrainien sera interprété avant le début de chaque représentation, en signe de soutien au peuple ukrainien et de condamnation de la guerre. Un moment très émouvant car ces jours-ci le public s’est mis debout et a écouté l’hymne ukrainien dans un silence absolu.

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