La colère des agriculteurs européens, vue d'Ukraine et du Maroc

Parmi les motifs d'énervement des agriculteurs figure la concurrence des importations étrangères, jugées déloyales, notamment, celles ukrainiennes et marocaines. Nos correspondants nous exposent le regard que portent ces pays sur cette contestation.
Article rédigé par franceinfo, Maurine Mercier - Seddik Khalfi
Radio France
Publié
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Une manifestation d'agriculteurs qui expriment leur colère face face à la politique agricole européenne, à Rennes, le 25 janvier 2024. (ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS / AFP)

En Ukraine, la première préoccupation reste la guerre et face aux débats qui agitent l'Europe sur les importations des produits agricoles, les autorités tentent de rappeler qu'elles sont justement vitales pour financer l'effort de guerre.

De son côté, le Maroc, dont la tomate est souvent citée en exemple de cette concurrence, déplore les actions de destructions de leurs produits. Le pays cherche à diversifier ses clients et a doublé le nombre de pays importateurs en l’espace de cinq ans.

Ukraine : "Ici, nous nous battons pour notre survie"

Le sujet numéro un, en Ukraine, est évidemment l’urgence de la guerre, bien plus que la politique agricole. Mais elle est au cœur des discussions politiques, parce que l’Ukraine n’est pas en position de se fâcher avec les pays européens. C’est le dossier qui nuit aux relations, notamment avec les pays limitrophes, comme la Pologne ou la Moldavie. Avec la guerre, ces pays affirment être inondés par les produits agricoles ukrainiens.

La colère a gagné les agriculteurs français qui affirment que les produits ukrainiens représentent une concurrence déloyale. Trois mois après le début de la guerre, Bruxelles suspend les droits de douane sur les importations ukrainiennes dans les 27 pays de l'UE. Cette exemption a été prolongée jusqu'en juin 2024. En Ukraine, évidemment, on comprend ces craintes, mais on les relativise. "Ici, nous nous battons pour notre survie", dit un agriculteur du sud de l’Ukraine. Les autorités, elles, tentent de rappeler que ces exportations sont tout simplement vitales pour financer l’effort de guerre.

L'Ukraine parmi les terres les plus fertiles de la planète

C’est le discours tenu par Kiev en Pologne, le dossier agricole nuit aux relations entre les deux pays. Mais en décembre, l’ambassadeur ukrainien a félicité le nouveau ministre de l’Agriculture polonais pour sa nomination. Il a tenu à lui exprimer combien les exportations ukrainiennes permettent significativement de contribuer au budget de l’État et que dans ce contexte de guerre, l’Ukraine n’a tout simplement pas le choix. La Pologne s’est montrée conciliante et dit vouloir faire en sorte de trouver la formule pour soutenir l’Ukraine, mais sans perturber l'équilibre du marché polonais. Depuis fin janvier, des réunions de travail ont lieu entre les deux pays pour y parvenir et l’atmosphère semble se réchauffer petit à petit.

L’Ukraine possède les terres les plus fertiles de la planète. C’est l'un des plus grands exportateurs de produits agricoles au monde. L’Ukraine était, avant la guerre, le premier exportateur au monde d’huile de tournesol, le troisième pour l’orge, le quatrième pour le maïs et le cinquième pour le blé. Mais les agriculteurs ukrainiens rappellent que la majeure partie de la production agricole est destinée non pas aux pays européens, mais à l’Asie et à l’Afrique. Avant la guerre, ces continents importaient 92% du blé ukrainien. C’est l’invasion russe et les difficultés à exporter par les ports de la mer Noire qui est venue tout perturber.

Maroc : troisième exportateur mondial de tomates

Les agriculteurs marocains ont vu les blocages et parfois la destruction de leurs marchandises sur les routes françaises. Des agissements qu'ils déplorent par la voix du président de la Fédération Interprofessionnelle Marocaine de production et d'exportation des Fruits et Légumes (FIFEL). Lahoucine Aderdour regrette de voir aussi pourrir les cargaisons immobilisées sur les routes. Mais il rassure les agriculteurs, il existe des assurances qui viendront couvrir leurs pertes.

La tomate marocaine est devenue le symbole de la consommation de légumes hors saison. C’est en été qu'elle pousse en Europe, mais au Maroc elle pousse toute l’année et part à l’export. Les charges des agriculteurs ne sont pas les mêmes qu’en France. Ici le SMAG, le salaire minimum agricole, est de 8,5 euros par jour. Il faut aussi compter les intrants comme les engrais, les produits phytosanitaires ou encore l’eau, devenue rare au Maroc.

Afrique, Russie, Corée du Sud... des débouchés partout

Mais la tomate reste très compétitive et le Maroc en est le troisième exportateur mondial. L’an dernier les exportations ont atteint un record avec 716 000 tonnes, dont la moitié est destinée au marché français. Mais le pays cherche à diversifier ses clients et a doublé le nombre de pays importateurs en l’espace de cinq ans.

Le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont friands des tomates marocaines. Celles-ci trouvent aussi de nouveaux débouchés en Europe de l’Est, mais elle voyage parfois beaucoup plus loin. Cet été, la Chine a conclu un accord agricole avec le Maroc. La Russie et la Corée du Sud signent également des accords de libre-échange avec le royaume chérifien. On se rappelle qu’en 2016, lorsque la justice européenne a remis en question l’accord agricole Maroc-UE, la Russie s’est frottée les mains et a doublé ses importations de fruits et légumes marocains.

Au Maroc, la tomate se vend autour de 50 centimes le kilo sur les marchés. Mais il ne s’agit pas de la même tomate que celle exportée vers l’Europe, puisque l’UE exige des calibrages précis, la même taille et la même couleur pour toutes les tomates. Le consommateur marocain, lui, absorbe le reste. Quand ce reste n’est pas lui aussi exporté, vers l’Afrique notamment.

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