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Guerre en Ukraine : comment la Russie tente d'étendre son influence en Catalogne et en Côte d'Ivoire

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction la Catalogne et la Côte d'Ivoire où la Russie tente de s'immiscer.

Article rédigé par franceinfo - Henry de Laguérie, François Hume
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président russe Vladimir Poutine rencontre les athlètes russes médaillés des JO d'hiver de Pékin 2022 et les membres de l'équipe paralympique du pays, au Kremlin à Moscou, le 26 avril 2022. (NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)

La Finlande n'a jamais été aussi proche d'ahérer à l'OTAN. Le président finlandais Sauli Niinistö et la Première ministre Sanna Marin se sont dit favorables, jeudi 12 mai, à une adhésion "sans délai" à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. La Finlande cherche à se protéger de la Russie, d'une offensive militaire mais aussi de ses influences. D'autres cherchent à s'en prémunir. Direction la Catalogne et la Côte d'Ivoire.

En Catalogne, l'offre de la Russie aux indépendantistes

En Catalogne, dans le nord-est de l'Espagne, la Russie tente depuis longtemps de déstabiliser l'Union européenne. C'est ce qu'elle a tenté de faire en soutenant les indépendantistes catalans en 2017. Peu après le référendum illégal en octobre 2017, et à la veille d'une déclaration d'indépendance sans lendemain, un ancien diplomate russe, présenté comme un émissaire de Vladimir Poutine, a été reçu par Carles Puigdemont, alors président de la Catalogne.  L'homme en question s'appelle Nikolay Sadovnikov, et propose l'aide de la Russie aux indépendantistes catalans. Selon les investigations d'un consortium international de journalistes, il aurait proposé 10 000 soldats et 500 milliards d'euros pour permettre à la future République catalane de prendre son envol. En échange, la Russie aurait demandé une législation favorable aux crypto-monnaies dans une République catalane.

"L'intention de la Russie, c'était de pousser Carles Puigdemont à aller en avant et à casser avec l'Espagne, explique Antonio Baquero, l'un des journalistes qui a révélé l'information. Après, est-ce que les soldats et l'argent étaient vrais ? On ne va jamais savoir... Mais ce qu'on peut savoir, c'est qu'à ce moment-là, quelqu'un de très proche de Poutine lui-même est venu ici et a dit aux Calatans 'allez vas-y, la Russie va vous soutenir.'"

Moscou n'a pas d'intérêt particulier en Catalogne, mais aider à la sécession d'un territoire au cœur de l'Europe, c'est participer à la déstabilisation du continent. De leur côté, les indépendantistes catalans cherchaient désespérément une reconnaissance à l'étranger. Carles Puigdemont a reconnu l'existence de cette réunion, "mais l'offre russe a été refusée", explique-t-on. Pour Joan Canadell, député et proche de l'ex-président catalan il n'y a pas matière à scandale. "En 2017, tout le monde avait de bonnes relations avec Poutine, en Europe, aux États-Unis et partout, affirme-t-il. Et donc parler aujourd'hui dans le contexte actuel, d'une réunion qui a eu lieu en 2017, c'est vraiment un coup bas ! Cela étant dit, dans le contexte de l'époque, quand nous voulions proclamer la République, le moindre soutien à notre cause devait au minimum être pris en compte et écouté !"

D'autres réunions secrètes ont eu lieu à Barcelone, Moscou ou Genève jusqu'en 2019 entre des émissaires russes et des indépendantistes catalans. Aujourd'hui, ces révélations embarrassent à Barcelone. Les indépendantistes de gauche s'en sont démarqués. "Flirter avec la Russie ne fait aucun bien à notre cause", a déclaré la porte-parole de la gauche indépendantiste

En Côte d'Ivoire, un sentiment anti-français alimenté par le Kremlin

En Afrique aussi, la Russie tente d'agrandir sa sphère d'influence, en particulier en Afrique de l'ouest. Depuis plusieurs années, il a été montré, démontré que des entités russes ont créé des sites, des groupes facebook, des robots pour inonder la toile de messages prorusses, pro-Poutine, anti-occident. Sans parler de la très puissante Russia Today, la chaîne officielle des autorités russes. Au début de ce phénomène de guerre informationnelle, les groupes Facebook présents notamment en Côte d'Ivoire, au Mali, au Burkina, ciblaient principalement l'opération Barkhane et la présence militaire et économique française en Afrique de l'ouest, en promettant de donner une autre approche de l'information que celle des grands médias traditionnels. Code of Africa, une ONG luttant contre la désinformation, en a compté au moins 175.

Le dispositif s'est encore amplifié au début de la guerre en Ukraine. Des ONG spécialisées dans la désinformation sont remontées vers l'oligarque russe, Yevgeniv Prigozhin, proche de Vladimir Poutine et soupçonné d'avoir développé des sites de "fake news" et de nombreuses publicités en ligne, pour présenter l'OTAN comme l'agresseur, responsable de ce conflit, et défendre les intérêts russes. Et selon plusieurs observateurs, dont des diplomates occidentaux, cette technique pourrait être payante pour les Russes, même si l'opinion publique n'est pas uniquement influencée par ces dispositifs. Une étude montre ainsi que la moitié des Ivoiriens n'auraient pas voté la résolution de l'ONU condamnant l'opération militaire russe, et que 65% des sondés voient la Russie comme un allié.

>> Mali : comment la Russie souffle sur les braises du sentiment anti-français

La Russie passe également par des relais d'opinions, des personnalités ouest-africaines pour relayer son message. En Centrafrique, au Mali, en Côte d'Ivoire, des figures médiatiques et politiques relaient abondamment le point de vue des autorités russes sur la guerre en Ukraine notamment, et là encore, des enquêtes journalistiques ont révélé leurs liens avec des hommes d'affaires russes. Le plus connu d'entre eux est le militant panafricain et anticolonialiste franco-béninois Kémi Séba, aussi classé à l'extrême-droite. Il s'est rendu plusieurs fois en Russie et a également été invité au Soudan et en Libye. La politicienne Nathalie Yamb, suisso-camerounaise, se fait appeler la "Dame de Sotchi", et publie très régulièrement des vidéos pour dénoncer la France et ses alliés. Accusée de relayer des "fake news", elle affiche son soutien à l'armée russe depuis l'invasion de l'Ukraine.

L'Europe participe-t-elle, elle aussi, à cette guerre informationnelle, et cette course à l'influence ? C'est ce que dénoncent actuellement des proches de la junte malienne, avec cette dernière polémique en date au sujet d'une formation destinés à des blogueurs maliens visant à "promouvoir le professionnalisme dans le secteur des médias sociaux". Financée à hauteur de 350 000 euros, ils y voient une manière de "corrompre" les journalistes et influenceurs maliens. Le Mali où "le pouvoir est de plus en plus polarisé et où le débat public ne laisse désormais que peu de place à la nuance", répondent les bloggeurs qui ont participé à la formation.

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