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Ces femmes qui luttent contre le conservatisme en Turquie, aux États-Unis et en Malaisie

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction la Malaisie, la Turquie et les États-Unis où les féministes se mobilisent pour protéger leur corps et leurs droits.

Article rédigé par franceinfo - Anne Andlauer, Gabrielle Maréchaux, Thomas Harms
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des femmes manifestent contre le retrait de la Turquie de la Convention d'Istanbul, traité international pour protéger les femmes contre les violences, à Istanbul, le 20 mars 2021. (BULENT KILIC / AFP)

À l'occasion des dix ans de la "Convention d'Istanbul", traité européen visant à protéger les femmes victimes de violences, le club des correspondants nous emmène en Turquie mais aussi aux États-Unis et en Malaisie où la question du droit des femmes à disposer de leur corps fait débat.

En Turquie, les anti-féministes gagnent du terrain

C'est à Istanbul qu'a été signée il y a dix ans, jour pour jour, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Triste ironie, la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan s’est retirée en mars de ce texte prétendant qu’il encourageait l’homosexualité.

Techniquement parlant, la Turquie est toujours censée appliquer la Convention d’Istanbul. Son retrait ne sera effectif qu’au 1er juillet. Par ailleurs, plusieurs partis d’opposition ont engagé des recours auprès de la Cour de cassation. Mais les féministes turques ne se font guère d’illusions. Elles dénoncent les conséquences déjà perceptibles de cette décision. Des auteurs de violence invoquent dans leur défense le retrait de la convention et certains policiers arguent de ce retrait pour renvoyer chez elles les victimes de violence plutôt que d’accueillir leur plainte. Les féministes constatent aussi des messages encore plus virulents et nombreux qu’autrefois sur les réseaux sociaux de la part d’hommes qui estiment que la Turquie n’est pas allée assez loin.

Ces anti-féministes demandent l’abrogation de la loi de prévention contre les violences faites aux femmes, plus connue ici sous le nom de loi 6284. Ce texte a été adopté en 2012 précisément pour transposer dans le droit turc la Convention d’Istanbul. Les ONG féministes la considèrent comme LE texte fondateur de la lutte contre les féminicides en Turquie, et réclament depuis des années son application pleine et entière. Le gouvernement dément vouloir y toucher, mais c’est le même gouvernement qui, il y a encore quelques années, se félicitait d’avoir été le premier signataire de la Convention d’Istanbul. Depuis le début de l’année, selon un décompte non officiel, au moins 152 femmes ont été assassinées en Turquie.

Une nouvelle loi anti-avortement aux États-Unis

Au Texas, une nouvelle loi (SB8) interdit tout interruption volontaire (ou médicale) de grossesse après six semaines. Elle doit être signée dans les prochains jours par le gouverneur après un dernier vote au Sénat régional qui ne sera qu’une formalité. Cette loi deviendra la plus restrictive des États-Unis sur l'avortement. Pour les défenseurs des droits des femmes, le texte cache une interdiction complète de l’avortement.

La loi SB8 aussi appelée loi "battements de coeur" proscrit tout avortement après six semaines de grossesse, dès lors que l'on peut entendre à l'échographie un son, un coeur, selon les anti IVG. Alors que selon les scientifiques, ce qu’on entend avant neuf ou dix semaines ne sont en fait que des impulsions électriques, le coeur n’étant pas encore formé. Cette loi complète une autre loi texanne plus ancienne qui impose, avant toute IVG, de réaliser une échographie afin de voir et d'entendre la preuve d'une grossesse (et les femmes enceintes sont obligées d’écouter). Or avant cinq semaines d'aménorrhée, il n’y a rien à voir, ni à entendre. Dans les faits, il est donc impossible d'avorter au Texas avant cinq semaines et après six semaines, sans expection même en cas de viol ou de bébé non viable.

Cette loi SB8 ouvre également une brèche sur le terrain judiciaire. Tout opposant à l’avortement pourra attaquer toute personne qui aurait apporté un soutien à une suspicion d’avortement illicite. Le médecin et la clinique qui auraient pratiqué l’avortement, l’ami qui l’aurait conseillé, la famille qui aurait soutenu, l’association qui aurait subventionné, voire même un chauffeur de taxi qui aurait conduit une femme enceinte dans une clinique, et pourquoi pas un moteur de recherche qui fait apparaître la clinique soupçonnée de pratiquer des avortement illégaux… Tous sons susceptibles de faire l'objet de poursuites.

Des procès à répétition

Cette loi précise que la défense, si elle gagne le procès, ne peut pas réclamer le paiement des frais de justice par le requérant.Cela veut dire que les associations anti-IVG pourront attaquer sans fin, sans avoir rien à payer en cas de non lieu ou de pure diffamation. Et ainsi contraindre médecins, cliniques, associations et tout un chacun à se défendre lors de procès à répétitions, et à terme à faire faillite. Mais les organisations pro avortement comptent bien aller en justice dès que la loi sera signée pour essayer de prouver son anticonstitiutionalité. L’avortement est en effet autorisé au niveau fédéral, dans les 50 États des États-Unis depuis 1973.

Les anti-IVG du Texas espèrent de leur coté que la bataille judiciaire remontera jusqu’à la Cour suprême des États-Unis qui, depuis que Donald Trump y a nommé trois juges, penche clairement en défaveur de l’avortement.

En Malaisie, un mouvement contre le "contrôle des règles"

En Malaisie, les réseaux sociaux permettent aux lycéennes d’aujourd’hui et d’hier de dénoncer le sexisme et les agressions sexuelles qu’elles subissent depuis plusieurs décennies. C’est un phénomène bien particulier qui agite internet en Malaisie depuis plusieurs semaines, le "period spot checks" qu’on pourrait traduire en français par "le contrôle des règles".

C’est la même histoire qui est racontée par toutes ces Malaisiennes des quatre coins du pays. Celle d’une mise en doute de leur parole, lorsqu’avant un cours de sport ou une séance de prière, elles assurent ne pas pouvoir se joindre au groupe car elles ont leurs règles. En Malaisie la religion d’État est l’islam, c’est aussi le culte pratiqué par la majorité de la population, et selon le dogme musulman, une femme qui a ses règles est dispensé de prières. Mais parler des règles attise la suspicion des professeurs et surveillants, constatent ces témoignages. La même scène est décrite des dizaines et des dizaines de fois : les adolescentes doivent prouver ce qu’elles avancent, et montrer parfois publiquement leur sang menstruel sur un mouchoir, un coton tige ou bien avec leur doigt, quand on ne leur agrippe pas l’entrejambe pour vérifier si elles portent bien une serviette hygiénique.

Les autorités malaisiennes ont d'abord accueilli la dénonciation de ce phénomène par un silence, puis par un certain embarras. Le ministère de l’Éducation a assuré que sans nom d’école il ne pouvait rien faire. Le média indépendant Malaysiakini a alors fourni la liste des établissements mis en cause par les témoignages des jeunes-filles à travers tout le pays. Une liste réalisée après un travail d'investigation. Des enquêtes seraient en cours.

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