Cet article date de plus de trois ans.

Un nouveau membre élu à l'Académie française : pour candidater il faut écrire "38 lettres manuscrites"

L'Académie française élit ce jeudi un nouveau membre qui succédera à Michel Serres. Mais pour devenir immortel, le chemin est long et sinueux. La Coupole nous a ouvert ses portes.

Article rédigé par Alain Gastal
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'habit vert d'un membre de l'Académie française. Photo d'illustration. (ALEXIS SCIARD  / MAXPPP)

Pour entrer à l'Académie française, il faut d’abord oublier son ordinateur. L'historien Pascal Ory, 73 ans, dernier élu en date sous la Coupole, en mars 2021, raconte comment il a fait pour convaincre les Immortels de le coopter. "Il faut écrire à chaque membre de l'Académie une lettre manuscrite. C'est purement une coutume. On vous le recommande. Vous pouvez ne pas le faire mais il est évident que si on commence à ne pas respecter les règles du club, et en particulier cet effort qui est d'écrire à la main au XXIe siècle 35, 37, 38 lettres de candidatures personnalisées aux différents électeurs potentiels, si on ne fait pas cet effort-là, je trouve que c'est mauvais signe. Il faut savoir que dans un club il y a le CV mais il y a aussi la bonne compagnie", raconte Pascal Ory. Un nouveau membre sera élu, jeudi 25 novembre, à l'Académie française pour succéder à Michel Serres au fauteuil 18.

50 000 euros minimum pour l'habit vert

Une fois élu, patience, il faut en général un an et demi avant d’être reçu sous la Coupole. Entre temps, il faut acheter l’épée et l’habit vert, ce qui n’est pas une petite affaire, explique Dominique Fernandez, académicien élu en 2007. "Il y a quelqu'un qui se charge de récolter des sommes d'argent que versent les amis. Ce comité sert à financer l'épée mais aussi le costume. Le prix le plus bas c'est quand même 50 000 euros. Moi j'ai pris le tailleur de l'armée, c'est à dire le moins cher, c'est 50 000 euros. Si vous allez chez Cardin par exemple c'est 300 000 euros."

L'impétrant ne pourra pas se rembourser avec son salaire de 120 euros brut par mois. Même si l'Académie, via l'Institut de France, est très riche avec un patrimoine d'un milliard d’euros. La preuve, elle s'autofinance, rappelle l'historien Pascal Ory. "Elle fonctionne un peu comme les universités anglaises. Elle a des dons, des legs, des ressources propres. Nous touchons même des fermages et des loyers. Résultat, à peu près aucune dépendance financière à l'égard de l'État."

Un demi-siècle pour écrire un dictionnaire

L'Académie française définit la langue française en élaborant notamment  un dictionnaire. C'est la mission confiée par Richelieu en 1635 qui est toujours sa raison d’être. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle prend son temps pour terminer son huitième dictionnaire en un peu moins de 400 ans comme le raconte Dominique Fernandez. "On se moque de nous parce que c'est très lent. Faire un dictionnaire, ça prend 50 ans, 60 ans. Le Robert ou le Larousse, tous les ans, réimpriment. Ils peuvent donc introduire un mot nouveau des jeunes qui dure très peu, un an ou deux, comme 'kiff', par exemple. Mais nous, si on introduit un mot de jeune, dans 50 ans ce sera du chinois, ce sera périmé."

À ce rythme-là, évidemment on ne suit pas toujours l'évolution de la langue.  "Prudence", disait Dominique Fernandez. "Conservatisme", réplique le linguiste  Christophe Benzitoun, enseignant à l’université de Nancy. Avec un exemple en tête. "Pour le verbe 'se rappeler', il est recommandé par l'Académie, notamment, d'utiliser 'se rappeler quelque chose' alors qu'en français contemporain, la plupart des locuteurs vont utiliser 'se rappeler de quelque chose' ; 'je m'en rappelle' et pas 'je me le rappelle'."

"La langue a bougé sur certains secteurs mais l'Académie n'enregistre plus du tout les évolutions d'usage et continue à défendre les formes antérieures depuis au moins un siècle et demi."

Christophe Benzitoun, linguiste

à franceinfo

Une dizaine de candidats sont en lice pour succéder à Michel Serres, dont un qui se détache, présenté comme le favori : Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature en 2010.

Certains académiciens, hors micro, parlent d'une candidature qui symbolise la crise de l'Academie. Une autorité contestée, un prestige en berne, elle voudrait asseoir un prix Nobel sous la Coupole. Il faut savoir que les prix Nobel français de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio et Patrick Modiano, sans oublier le franco-chinois Gao Xinjiang, ne sont pas intéressés et snobent la vieille dame.

"Quelqu'un qui n'a jamais écrit en français n'a pas sa place à l'Académie."

Dominique Fernandez, académicien

à franceinfo

On s’est donc reporté sur le prix Nobel 2010, péruvien, francophone mais ça coince chez de nombreux immortels dont Dominique Fernandez. "Il connaît très bien le français mais il n'a pas écrit en français. Il y a beaucoup d'étrangers à l'Académie depuis José-Maria de Heredia, Julien Green, Ionesco jusqu'à aujourd'hui nous avons six ou sept étrangers. Ils écrivent en français. Andreï Makine, russe, écrit tous ces livres en français tandis que Vargas Llosa n'a jamais écrit en français. Le principal travail de l'Académie, c'est le travail sur la langue, ça suppose que l'on a le maniement de la langue."

Cinq postes, cinq fauteuils resteront à pourvoir après l'élection du 25 novembre 2021.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.