Témoignages
"Dans ma famille, je n'en parlerais pas, j'aurais honte" : 50 ans après la loi Veil, l'interruption volontaire de grossesse reste tabou

L'IVG s'apprête à être inscrite dans la Constitution mais reste encore largement taboue. Franceinfo donne la parole aux femmes qui ont eu recours à des IVG et qui témoignent de la difficulté d'en parler près de 50 ans pourtant après l'adoption de la loi Veil.
Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Barbara, une cheffe d'entreprise parisienne, raconte à franceinfo son expérience traumatisante lors d'un IVG à l'âge de 25 ans. (SANDRINE ETOA / FRANCEINFO)

Les débats sur le projet de loi qui doit inscrire l'interruption volontaire de grossesse comme une "liberté garantie" dans la Constitution commencent mercredi 24 janvier à l'Assemblée. Le vote aura lieu le mardi 30 janvier. Cinquante ans après la loi Veil, cet acte quotidien est encore un tabou.

Celles qui y ont eu recours jugent qu'il est encore difficile d'en parler. Et c'est encore le cas plus d'un an après confie Barbara. Sa décision d'avorter à 25 ans était claire et ferme. Jeune couple, jeune âge, jeune carrière... Devenir mère, ce n'était pas le moment. Difficile d'en parler et d'assumer pour cette cheffe d'entreprise, écrasée par les mots culpabilisants de certains soignants. Cela a commencé dès le premier rendez-vous avec l'échographe. "Quand elle me fait passer l'échographie, d'un coup elle se fige, et elle me dit que je suis à sept semaines de grossesse, raconte Barbara. Le choc ! Je pleure et elle me dit qu'il va falloir qu'on écoute le cœur. Sur le coup, je n'étais pas très renseignée, mais il me semblait bien que ce n'était pas tellement utile. Elle me dit : "Bon bah dans le cas où vous voudriez continuer votre grossesse, le bébé est en bonne santé". Je sors de là, je suis sonnée. J'ai juste l'impression d'avoir tué quelqu'un."

Barbara n'ose pas en parler par "honte", dit-elle, à sa mère, dont elle est pourtant proche. Traumatisée par l'expulsion de l'embryon, les douleurs intenses, elle se présente aux urgences de l'hôpital Cochin quatre jours après. "J'arrive à l'accueil. Bien évidemment,  je suis en pleurs, éprouvés par la douleur physique et psychologique. Et elle me dit : 'Ben oui, ça fait mal d'avorter.' et elle ajoute 'de toute façon là c'est sept à huit heures d'attente. Donc, en fait, rentrez chez vous'. Mais, en fait, on est tellement dans un état de vulnérabilité qu'on ne dit rien."

Lutter contre cette invisibilisation

Aujourd'hui, Barbara envisage une thérapie pour enlever ce sentiment d'avoir fait quelque chose de mal. Mais parler de l'IVG reste difficile même quand ce n'est pas un traumatisme comme dans la plupart des cas selon Delphine Giraud, vice-présidente de l'association nationale des sages-femmes orthogénistes. Elle accompagne les femmes depuis une dizaine d'années : "On parle beaucoup de la détresse autour de l'IVG et de ces femmes qui vont mal après avoir fait une IVG. Je vous le dis sur le quotidien, évidemment que ça ne fait pas plaisir d'être confrontée à une grossesse non souhaitée, mais en tout cas, les femmes qui ont choisi de faire une IVG, elles vont mieux après l'avoir fait parce que c'est leur choix et qu'elles ont réglé un problème. Mais c'est vrai que ça reste quelque chose de tabou, en tout cas dans l'entourage."

Pour rappel, le suivi psychologique est obligatoire pour les mineures et obligatoirement proposé pour les majeures. En 2022, il y a eu 234 300 interruptions volontaires de grossesse, un chiffre en augmentation. Cela concerne une grossesse sur trois mais il existe toujours une loi du silence. Certaines tentent de lutter contre cette invisibilisation en continuant de diffuser cette parole au théâtre par exemple.

Sandra Vizzavona est avocate et auteur de "Interruption", aux éditions Stock. (SANDRINE ETOA / FRANCEINFO)

La pièce Interruption en ce moment au théâtre Antoine à Paris raconte les expériences d'avortement d'une vingtaine de femmes. Camille, Andréa et Anne ont toutes moins de 30 ans. Elles ont vu la pièce et quand on leur demande si en cas d'avortement, elles en parleraient, elles confirment le malaise : "C'est dans l'inconscient. Il y a la peur du jugement. C'est un sujet où on y va à tâtons", avance l'une d'elles. "Ben moi personnellement, dans ma famille, j'en parlerais facilement, mais pas à l'extérieur", répond une autre alors que pour la troisième : "Dans ma famille je n'en parlerais pas, j'aurais honte. Je n'ai jamais parlé de sexualité, c'est tabou."

Des rapports de pouvoir autour de l'avortement

L'auteure du livre qui a inspiré la pièce, Sandra Vizzavona, est partie de sa propre histoire. Deux avortements, le premier à 16 ans est traumatisant -  dont elle n’a pas pu discuter avec ces parents à l’époque - et le second, dix ans plus tard, un "non-évènement", dit-elle. Tout intime qu'il soit il y a encore selon cette avocate parisienne de nombreux rapports de pouvoir qui se nouent autour de l'avortement. "C'est comme s'il y avait une espèce de règle tacite : 'Tu as le droit de le faire, mais soit discrète', déplore Sandra Vizzavona. Je l'explique par plusieurs raisons. La première, c'est qu'une femme qui avorte, c'est une femme qui a couché que pour le plaisir. Quand on parle d'avortement, on parle de façon sous-entendue immédiatement de sexualité libérée et que je pense que ça pose encore un problème dans les mentalités. L'avortement, c'est aussi un refus de maternité et ça pose aussi également un problème." 

"Je pense que les femmes sont très conscientes de la fragilité de ce droit. Si elles expliquent qu'elles sont tombées enceintes par erreur parce qu'elles ont oublié leur pilule, et bien elles ont toujours peur de renforcer la voix des opposants à l'avortement."

Sandra Vizzavona, avocate et autrice d'"Interruption"

à franceinfo


Et le fait que dans le projet de loi pour inscrire l'IVG dans la Constitution, ce soit écrit comme une "liberté garantie" et non un "droit" fondamental fait partie de ces craintes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.