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Reportage
"Quand elle est arrivée, c'était le bonheur" : l'eau du Rhône acheminée par le réseau Aqua Domitia va-t-elle sauver les Pyrénées-Orientales de la sécheresse ?
C'est l'une des solutions proposées par la région Occitanie pour contrer la sécheresse : pomper l'eau du Rhône pour alimenter les réseaux d'irrigation à plus de 200 kilomètres en traversant trois départements, jusque dans les Pyrénées-Orientales. L'idée serait de faire comme un aqueduc. Cela paraît un peu fou mais ça existe déjà et cela s'appelle Aqua Domitia.
Ce réseau hydraulique, baptisé en latin, est un clin d'œil aux Romains. Ce n'est pas un aqueduc mais un ensemble de canaux et de tuyaux qui pompent l'eau du Rhône pour l'acheminer dans le Gard, l'Hérault puis l'Aude. Ce système est entré pleinement en service il y a deux ans et tout repose sur la station de pompage près de Montpellier.
"La vocation de cette station de pompage, c'est de prendre l'eau qui est dans la partie terminale du canal, explique Jean-François Blanchet, directeur général de BRL, le concessionnaire du réseau. À la manière d'un système sanguin avec un cœur, la station va mettre en pression cette eau et la diffuser vers un système de canalisation pour arriver au plus loin jusqu'à Gruissan". En tout, ce sont 140 kilomètres de canalisations qui serpentent le long du littoral pour alimenter en eau potable plus d'un million de personnes.
Préserver les autres cours d'eau
Pour ses partisans, en puisant dans un fleuve à gros débit, Aqua Domitia permet d'épargner les cours d'eau en souffrance. "L'eau du Rhône évite de prélever 8 millions de mètres cubes dans des cours d'eau, comme c'était le cas auparavant, notamment dans la nappe du fleuve Hérault, dans la nappe astienne, qui est très proche de la Méditerranée, qui est une nappe patrimoniale à préserver, ou dans l'eau du Canal du Midi" , développe Jean-François Blanchet.
"Il y a aussi une portée qui est très environnementale dans ce projet. Aujourd'hui, on ne s'interroge plus sur sa nécessité mais plutôt pourquoi il n'a pas été dimensionné de manière plus importante."
Jean-François Blanchet, directeur général de BRLà franceinfo
C'est justement l'idée de la région Occitanie en étendant encore un peu plus ce réseau jusqu'au Pyrénées-Orientales. Des études viennent d'être lancées pour évaluer la pertinence et la faisabilité d'un tel projet. Cette ressource évidemment est précieuse aussi pour les agriculteurs. Près de 9 000 exploitations agricoles sont aujourd'hui raccordées à Aqua Domitia. Parmi elles, celle de Michel Pontier, près de Montpellier. On le retrouve au milieu de ses champs juchés sur un gros robinet. "Pour ouvrir, je tourne une grosse vanne qui est un peu dure, décrit l'agriculteur. On entend l'eau qui commence à sortir et va dans les canalisations. C'est l'eau du Rhône et je vous garantis que quand elle est arrivée ici, c'était le bonheur."
Une victoire pour cet ancien élu à la chambre d'agriculture. Il a été l'un des premiers à militer pour que les tuyaux atteignent ses champs de colza, de maïs ou de tournesol. "Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est qu'ici, s'il n'y avait plus d'eau, c'est le désert, il n'y a plus rien, affirme Michel Pontier. Quand je me suis installé, il pleuvait 750 mm et là, on est entre 400 à 450. Sans l'eau d'Aqua Domitia il n'y aurait pas eu de reprise. Mon jeune associé, je ne suis pas sûr qu'il aurait eu les crédits. Autant les établissements de semences regardent si l'eau est sécurisée, autant les banquiers regardent si, dans le projet, il y a une ressource sécurisée."
Mais cela pose évidemment des questions sur le partage de l'eau. D'ailleurs, il y a 20 ans, le projet initial d'Aqua Domitia était d'aller du Rhône jusqu'en Espagne à Barcelone. À l'époque, les agriculteurs français s'étaient mobilisés contre. Impossible pour eux d'imaginer un fleuve français irriguer les terres de leurs concurrents. Aujourd'hui, ce n'est plus d'actualité.
"Le Rhône n'est pas un milieu inépuisable"
Mais la bataille de l'eau est toujours là car chacun veut sa part du Rhône. "Il y a encore suffisamment d'eau", explique Nicolas Chantepy, directeur général de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, un organisme qui a mené une étude sur l'avenir du fleuve. "Le Rhône, même si c'est le fleuve le plus puissant de France, n'est pas un milieu inépuisable. Globalement, selon les modèles climatiques et l'étude qu'on a réalisée, le débit du Rhône restera équivalent en moyenne. Il risque d'y avoir plus d'eau en hiver et en revanche, moins d'eau en été parce qu'il y aura moins de glaciers qui apporteront de l'eau pendant les périodes de juillet-août."
Il faut donc rester prudent. Pour France nature environnement et son président dans la région Simon Popy, il faut faire attention aux idées reçues sur le cycle de l'eau, "ce message, ce mantra qui est répété par les syndicats agricoles, que l'eau qui part à la mer est perdue. Elle est peut-être perdue pour l'agriculture, mais l'eau est aussi indispensable à l'écosystème méditerranéen."
"Si demain, il n'y a plus d'eau douce qui arrive à la Méditerranée, on va se retrouver avec une augmentation de la salinité. Donc on aura très vite des conséquences dramatiques pour l'écosystème méditerranéen. Il y aura des conséquences économiques derrière."
Simon Popy, président de France nature environnement Occitanieà franceinfo
La région Occitanie le reconnaît, Aqua Domitia ne réglera pas la question de la sécheresse dans les Pyrénées-Orientales. Mais l'extension du réseau fait partie de sa stratégie d'adaptation au changement climatique.
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