Reportage
"Mon téléphone, c'est mon doudou, ça m'angoisse de le laisser" : l'interdiction totale du portable au collège expérimentée depuis une semaine
Depuis 2018 une loi interdit en théorie l'utilisation du téléphone dans l'enceinte scolaire : les élèves peuvent l'avoir, mais éteint et au fond du sac. Dans les faits, beaucoup de jeunes continuent à l'utiliser en cachette, source de déconcentration voire de conflits et de harcèlement. En cette rentrée, une expérimentation est en cours dans près de 200 collèges du pays. Il s'agit de déposer son portable dans un casier ou une mallette, au lieu de le garder avec soi.
L'idée est de lutter contre l'utilisation frauduleuse dans les couloirs ou en classe. Au collège de Langeac (Haute-Loire), à 100 km de Clermont-Ferrand, les 200 élèves doivent, depuis une semaine, commencer par se diriger vers les casiers. Chaque collégien y dépose ses livres et son téléphone.
"Sept heures par jour, au moins"
Anouk, élève de 3e, le confie : les années passées, elle ouvrait de temps en temps ses applications fétiches Snapchat, Instagram ou TikTok alors qu'elle était au collège. "C'était bien aussi d'avoir un temps sur notre téléphone, pour 'sortir' un peu du collège... Maintenant on discute entre nous, on parle davantage, du coup. Mes parents trouvent ça bien, parce que ça nous évite de trop regarder le téléphone, mais quelquefois c'est d'eux que venaient les messages pour savoir à quelle heure on sortait, s'ils venaient nous chercher..." Si c'est si difficile de laisser complètement son téléphone pendant la journée, c'est que certains ados passent tout leur temps libre dessus, témoignent plusieurs collégiennes : "Même quand je marche pour rentrer chez moi", reconnaît l'une d'entre elles, qui avoue regarder son téléphone "sept heures par jour, au moins."
Ces élèves ont, en fait, très peur de laisser leur téléphone dans un casier, même fermé à clé : "Ça m'angoisse un peu, dit l'une d'elles, qu'on me le vole, que quelqu'un y touche... Mon téléphone, c'est mon doudou informatique !" Selon ces ados, cette nouvelle règle va rapidement être contournée par certains élèves.
Théoriquement, il n'y a pas plus de risque de vol qu'avant, puisque le téléphone était censé être au fond du sac, éteint. Mais certaines familles prennent ce prétexte pour ne plus du tout donner le téléphone à leurs enfants, explique le principal du collège de Langeac, Pierrick Villard : "Certains parents ont dit : 'les enfants n'emmèneront pas leur téléphone au collège', d'autant plus qu'on a rappelé à toutes les familles que si elles avaient besoin de joindre leur enfant elles pouvaient appeler le service de la vie scolaire et que nous ferions transiter le message... C'était déjà le cas avant, mais la solution de facilité était un SMS adressé directement à l'enfant, y compris pendant le temps de classe."
Vers une généralisation de la mesure en janvier ?
L'intérêt de cette nouvelle interdiction, c'est qu'elle sanctuarise le temps scolaire, estime une enseignante, et peut marquer le début d'une désaccoutumance, espèrent les encadrants du collège. La ministre démissionnaire de l'Education nationale, Nicole Belloubet, a annoncé vouloir généraliser l'expérimentation à tous les collèges dès janvier prochain. D'un point de vue pratique, cette ambition pose quand même quelques questions : dans ce collège de Langeac, les élèves utilisent les casiers déjà existants, mais ce n'est pas efficace à 100%, puisqu'ils y ont accès pendant la journée, pour récupérer leurs manuels.
L'équipement sûr serait un casier spécifique ou une mallette pour tous les téléphones de la classe, mais cela a un coût et cela effraie l'association des départements de France, chargée de l’entretien et l’équipement des collèges. "Il y a eu une estimation sur le coût de l'installation de ces casiers dédiés aux portables : 120 millions d'euros, précise Marie-Pierre Mouton, qui préside la commission Education de l'association. Et je me rappelle les propos très récents de Bruno Le Maire, disant que les collectivités étaient responsables des déficits de la France... Donc c'est 'deux poids deux mesures' !"
Autre problème éventuel : la question de la responsabilité, en cas de vol. Certains craignent aussi des attroupements, au moment du dépôt et de la récupération des portables, et que cela prenne du temps. Selon l'association des départements de France, il faudrait plutôt que les collèges aient assez de personnels pour faire respecter la loi de 2018. Elle est rejointe à ce sujet par les associations de parents d'élèves, qui préféreraient davantage d'adultes dans les établissements, plutôt que de nouveaux casiers flambant neufs. "Beaucoup de parents nourrissent des inquiétudes quant à l'usage des écrans pour leur adolescent, il est nécessaire de réguler ces usages en milieu scolaire. Pour autant, on rappellera que c'est une mesure qui existe depuis 2018 et qui n'est pas réellement mise en œuvre, faute de moyens humains, souligne Grégoire Ensel, vice-président de la FCPE. Il faut arrêter avec toutes ces annonces qui, une fois sur le terrain, n'arrivent pas à se déployer. À moyen et long terme, on souhaite aussi une véritable éducation à la vie numérique pour les élèves."
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