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Reportage
"Il n'y a pas eu d'hiver depuis trois ans et les étés sont terribles" : à Mumbai, l'objectif "neutre carbone" à l'horizon 2050, encore loin d'être atteint
À la veille de l’ouverture de la COP29, la conférence annuelle pour le climat, certains pays émergents affichent de très ambitieux projets de réduction de gaz à effets de serre. Ainsi, la capitale économique de l’Inde, Mumbai, entend devenir la première ville d’Asie du Sud-Est "neutre carbone", en 2050.
Stalin Dayanand nous emmène au bord d’une autoroute. Nous montons ensemble sur la passerelle qui l’enjambe. Celui qui est directeur de l’association de protection de l’environnement Vanashakti pointe alors une immense colline : "Vous voyez au loin derrière la mangrove, la montagne, eh bien c’est une décharge. Celle de Kanjurmarg. C’est l’une des plus grandes du pays. Cette montagne de déchets est aussi haute qu’un immeuble de 12 étages. On ne peut pas s’approcher, c’est interdit, la municipalité ne veut pas qu’on voie, poursuit Stalin Dayanand. En fait, les détritus ne sont pas traités."
"C’est à ciel ouvert, vous voyez les oiseaux qui tournoient au-dessus des détritus, ça les attire, le soir ils sont au moins 50 000. Avec la chaleur, les ordures émettent du méthane et d’autres gaz..."
Stalin Dayanandà franceinfo
"Il y a une autre décharge pas très loin, celle de Déonar, avec un quartier d’habitations à côté, poursuit Stalin Dayanand. Là-bas, l’espérance de vie des habitants est de moins de 40 ans. Voilà, je voulais vous montrer comment Mumbai gère ses déchets."
L'objectif "zéro carbone en 2050" annoncé à la surprise générale
La gestion des déchets, c’est l’un des grands enjeux de la ville de Mumbai. Il y a deux ans, à la surprise générale, la municipalité a annoncé qu’elle comptait atteindre le zéro carbone en 2050. Ici, le réchauffement climatique se ressent. La ville de 20 millions d’habitants est située sur une péninsule au bord de la mer, et se retrouve de plus en plus régulièrement inondée. Il y fait aussi une chaleur terrible. La température a augmenté de 2 degrés en 40 ans.
Srikala Pillai est conseillère municipale : "Je dis toujours à mes enfants que quand nous étions enfants, il pleuvait à partir du mois de juin, beaucoup, et cette saison des pluies durait trois mois. Ensuite, il y avait l’hiver et puis l’été. Mais maintenant, vous ne savez jamais quand il va pleuvoir. Il n’y a pas eu d’hiver depuis trois ans, on a des étés terribles et des chaleurs incroyables en octobre. La semaine dernière, on a eu des pluies torrentielles, avec de l’orage et des éclairs."
Srikala Pillai nous raccompagne jusqu’en bas de son immeuble et elle s’agace en apercevant les bennes à ordures : "Regardez, ça, c’est mes voisins. Il y a deux poubelles, une pour les ordures humides, l’autre pour le sec. Eh bien ils ont tout mélangé, ils ne font aucun tri. La priorité, c’est d’abord d’éduquer les citoyens. Vous avez là un exemple en direct : ça se passe dans mon propre immeuble. Il faut que chacun s’y mette, si on veut changer les choses." La lutte contre le réchauffement climatique, c’est, pour elle, l’affaire de tous.
"Il faudrait décarboner notre électricité"
Pour parvenir à la neutralité carbone dans 25 ans, Mumbai a lancé un vaste plan avec de nombreuses pistes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La municipalité est accompagnée par l’ONG WRI, qui a établi un plan d’action. "On a identifié de nombreuses pistes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, explique Avni Agarwal, cheffe de projet chez WRI. Déjà, l’énergie, il faudrait décarboner notre électricité en favorisant le GPL et les panneaux solaires. Une autre piste, c'est de construire des bâtiments plus verts, bas carbone et d'y faire baisser la température en créant une meilleure ventilation."
"Les déchets, il faut aussi mieux les gérer, insiste Avni Agarwal. Améliorer la mobilité durable en électrifiant nos véhicules et en favorisant les transports en commun. Une autre idée, c'est de créer davantage d’espaces verts et de favoriser la biodiversité, de lutter contre les inondations et enfin d'améliorer la gestion de l’eau et la qualité de l’air."
L’une des premières réalisations de ce plan se trouve au nord de Mumbai : la "forêt urbaine" de Marol. La ville est toujours en travaux et ça rend des endroits comme cette petite forêt encore plus nécessaire. Sayali Lokare, de l’ONG WRI, nous guide dans ce tout nouveau parc d’un peu plus d’un hectare.
Le parc utilise de l’eau recyclée, comprend une mare avec des poissons, un jardin à papillons, des fleurs et une végétation dense. Des écureuils vous passent devant les pieds. Cette "forêt urbaine" qui utilise de l’eau recyclée a remplacé une friche industrielle : "Si on a choisi de construire un parc ici, c’est parce que cette partie de la ville est l’une des plus vulnérables… Il y fait particulièrement chaud, et en même temps les inégalités sociales y sont très marquées."
On passe alors sous des arbres qui offrent un peu d’ombre. Il fait, ce jour-là, une trentaine de degrés : "Vous le sentez ? Grâce à la végétation, la température tombe d’un coup quand on passe à l’ombre. On a peut-être perdu seulement trois degrés, mais avec l’humidité, on a l’impression d’en avoir perdu cinq d’un coup. Il y a aussi un courant d’air frais, ça rend cet espace très agréable."
Dans ce parc, la température du sol est de 7 à 10 degrés moins élevée que dans la rue juste à côté. L’un des buts, c’est notamment de pouvoir servir de refuge aux plus pauvres pendant les fortes chaleurs. À Mumbai environ la moitié des habitants vivent dans des bidonvilles, des habitations informelles qui se transforment en fournaise dans la journée. Des bidonvilles qui côtoient des gratte-ciel, c’est le paradoxe de Mumbai.
"C'est de la poudre aux yeux"
Pour les militants écologistes, la transition de la ville ne va pas assez vite. Ces projets de parc, ces "petits" projets, "c’est de la poudre aux yeux", s’agace Stalin Danayand, de l’association Vanashakti. On le retrouve dans les marais salants situés tout au nord de la ville, une zone où de nombreux oiseaux ont trouvé refuge : "Tiens regardez, là au-dessus de nous, c’est une espèce de cigogne, un tantale indien avec la queue rose, il est très beau."
"À Mumbai, la hauteur de l’eau de la mer est à son maximum. À la moindre pluie, cela déborde et la ville est inondée."
Stalin Dayanandà franceinfo
"Ici, c’est une zone tampon, poursuit Stalin Dayanand. À marée haute ou quand il y a de fortes pluies, l’eau s’engouffre dans cette bande, elle retient des millions de litres d’eau. C’est en quelque sorte le gilet de sauvetage de Mumbai. Mais c’est ce que la municipalité ne comprend pas. Elle entend détruire cette zone et construire des immeubles d’habitations, pour les habitants des bidonvilles qu’ils vont reloger ici après avoir détruit leurs maisons."
"On va encore enrichir des entrepreneurs"
Stalin Dayanand s’oppose à ces constructions : "Si vous construisez, cette zone de sécurité n’existera plus et aux premières pluies, il y aura des inondations en ville, avec de nombreux morts et notamment chez les plus pauvres qui ne vivent pas en hauteur, dans des immeubles, mais dans des bidonvilles. Le but de la ville, c’est de construire, et toujours aux dépens de la nature. On va encore enrichir des entrepreneurs. Ces requins vont grignoter chaque centimètre carré de la ville de Mumbai, au prix de l’avenir de la ville. Alors vous ne pouvez pas d'un côté présenter un plan d’action pour réduire les émissions carbone et en même temps faire cela. Quel sens ça a ?"
La ville de Mumbai a annoncé, il y a quelques mois, qu’elle alignerait cette année et l’an prochain plus de 200 millions d’euros pour parvenir à la neutralité carbone dans 25 ans. Stalin Dayanand doute : à son goût, les projets de transition écologique ne vont pas assez vite et la municipalité n’a pas réellement pris la mesure de l’urgence climatique.
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