Gardiennage de villas, yachts, jets privés... Sur la Côte d'Azur, l'absence de la riche clientèle russe pèse sur certains professionnels
La guerre en Ukraine a de nombreuses conséquences, jusque sur la Côte d'Azur. Sur place, entre les sanctions et la situation diplomatique, les oligarques et autres russes fortunés ont disparu ou se font discrets. Un manque à gagner très important pour les professionnels travaillant avec cette clientèle.
À Saint-Jean-Cap-Ferrat, presqu'île idyllique de la Côte d'Azur, plusieurs oligarques russes sanctionnés par l'Union européenne, comme Arkadi Rotenberg et Viktor Rashnikov, possèdent de luxueuses villas qu'il faut surveiller. Sauf que ces derniers n'ont aujourd'hui plus de moyens de paiement et de virement. "Il y a plus de deux mois, nous étions avec un client qui a acheté une grande résidence, explique Éric Rollin, gérant de la société Global Safety, spécialisée dans la sécurité privée. Le contrat était en bonne voie, tout devait être signé, et d'un coup il ne nous a plus donné de nouvelles, puisqu'il a été sanctionné économiquement." Les pertes économiques sont énormes : "Sur deux ans, ce contrat pouvait monter jusqu'à un million d'euros. Un contrat mensuel représente entre 35 000 et 50 000 euros. Vous imaginez bien qu'arrivé à deux mois, à quatre mois, ça va être la panique" Dans son portefeuille de clients, Éric Rollin compte en tout cinq villas d'oligarques à sécuriser avec gardiens et caméras. Depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, de nombreuses entreprises et ressortissants russes sont inscrits sur la liste noire des occidentaux.
Des pertes financières considérables
La société d'Éric Rollin a déjà perdu "60% de chiffre d'affaires jusqu'en juillet", et il craint 80% de pertes d'ici la fin de l'année si la situation de change pas. La vingtaine de salariés qui devait venir en renfort en juin ne signera finalement pas de contrat.
À l’impact économique s’ajoute aussi un autre problème, car ces demeures cossues non surveillées deviennent de facto vulnérables, comme le montrent des images captées par des caméras de surveillance positionnées sur des maisons voisines. "Là, vous voyez trois individus qui se présentent face à une propriété privée. On s'aperçoit qu'ils vont rentrer dans cette propriété privée pour aller cambrioler, décrit Éric Rollin. Cela s'est passé la semaine dernière. Il n'y a plus de gardiennage, il n'y a plus de surveillance, plus de surveillance électronique, le téléphone est coupé."
Le secteur de la surveillance n'est pas le seul à être touché. Sur 12 000 yachts répartis dans le monde, 1 200 appartiennent à des Russes, et certains d'entre eux sont entretenus et repeints dans des ports français. Dans ce secteur, les sanctions prises à l'encontre des oligarques russes ont un impact qui se chiffre déjà en millions d'euros, comme l'explique David Sieur, le vice-président de l'association Riviera Yachting Network, un groupement de 130 entreprises spécialisées dans la réparation navale de yachts. "On avait signé deux contrats sur des gros bateaux russes de plus de 100 mètres, qui devaient arriver dans des chantiers français. Ils ont fait demi-tour au milieu de l'Atlantique et ils ne viennent pas. Les entreprises sous-traitantes et le chantier ont perdu un chiffre d'affaires de l'ordre de 10 millions."
Quand David Sieur fait le calcul de la perte d'argent des mois à venir, la situation n'est pas meilleure : "Il y a 1 200 yachts qui appartiennent à des Russes et on considère que 400 yachts sont susceptibles d'être saisis. Aujourd'hui, la difficulté pour les gouvernements, c'est de faire le lien entre une liste d'oligarques et un nom de bateau, puisqu'ils appartiennent à des sociétés offshores pour la plupart. La difficulté pour les entreprises qui interviennent sur ces bateaux, c'est de savoir si oui ou non on peut aller travailler et si oui ou non on sera payés. Ce n'est pas parce qu'on travaille sur ces bateaux qu'on sait in fine qui est le propriétaire."
L'inquiétude est grande également dans le secteur de l'aviation, où les pertes sont là aussi importantes. Les transporteurs russes ont interdiction de survoler l'espace aérien de l'Union européenne, tout comme les avions d'affaires privés. Une situation qui plombe les affaires Vitaly Arkhangelsky, courtier d'origine russe installé à Nice. Il fait l'intermédiaire entre les propriétaires de jets et de riches clients russes : "Je n'ai plus de clients depuis le 24 février [début de la guerre en Ukraine]. J'ai perdu entre 200 000 et 300 000 euros".
Une "psychose" contre les Russes
Dans son restaurant African Queen à Beaulieu-sur-Mer, Gilbert Vissian sert la bourgeoisie russe locale ou ces oligarques russes en vacances, avec des plats faits maison et une vue sur le port. Lui ne perd pas des milliers d'euros mais certains de ses clients ne dépensent plus car ils ne viennent plus. La faute au climat ambiant. "Vous avez des gens qui vivent à Monaco, qui ont des immatriculations en Russie, et qui n'osent pas sortir la voiture parce qu'on la leur raye. C'est une psychose contre les Russes et c'est un peu dommage, explique-t-il. Les gens qui vivent ici n'y sont pour rien dans la guerre. Je ne suis pas certains qu'ils soient tous des alliés de monsieur Poutine. On n'est pas acteurs de ce genre de choses, on est obligés de subir." Selon lui, pour fuir cette ambiance compliquée, certains clients sont partis se mettre au vert à Dubaï.
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