Parcoursup : la complexité de la plateforme est une manne pour les coachs en orientation, les écoles privées ou les avocats spécialisés
Stress, angoisse, méconnaissance : Parcoursup favorise le développement d'un business autour de l'anxiété générée par la plateforme d'admission dans l'enseignement supérieur. Elle représente une source de stress pour 83% des étudiants, selon un sondage Ipsos en septembre 2022. Alors que les lycéens doivent avoir formulé leurs vœux jeudi 9 mars, les acteurs privés gravitent et florissent dans le sillage de la plateforme. Coachs, écoles privées, ou encore avocats spécialisés, cette économie est en plein développement.
>> Formations, transparence, calendrier... Quelles sont les nouveautés de Parcoursup ?
Victor est en classe de Terminale. Depuis un an, déjà il voit une coach en orientation. Formations, transparence, calendrier... Quelles sont les nouveautés de Parcoursup, dont les inscriptions débutent mercredi ?"Aujourd'hui on se voit pour valider les vœux", dit sa coach en visioconférence. Ses parents Julien et Mandy confient être un peu perdus face à la fameuse plateforme. "Le système, la façon de fonctionner, je n'y comprends pas grand-chose", raconte Mandy. "En fait on a tellement entendu de mal de Parcoursup, qu'on s'est dit qu'on n'allait jamais y arriver dans ce truc qui a l'air d'être une jungle."
"On a eu la chance faire des études supérieures, on bosse à des fonctions de cadres mais on se sent nuls face à Parcoursup."
Julien et Mandy, les parents de Victor, élève de Terminaleà franceinfo
C'est Nelly, coach en orientation scolaire depuis 5 ans rattachée à une franchise, qui accompagne la famille. "Dans l'attitude des familles, c'est de plus en plus d'inquiétude. Peut-être un environnement anxiogène", estime-t-elle. Les parents lui disent "qu'ils connaissent quelqu'un qui n'a rien eu ou qui n'a pas eu ce qu'il voulait", des choses qui font peur. "Je suis là pour simplifier. Pour expliquer ce qu'est un vœu multiple, un sous-vœu, une formation non sélective... bref on arrive à rassurer tout le monde là-dessus", assure la coach d'orientation.
Entre 600 et 2 000 euros pour un coach
Le prix de cette tranquillité coûte en moyenne 600 euros, pour quatre rendez-vous, chez cette professionnelle. La prestation peut grimper jusqu'à 900 euros, pour un suivi sur l'année, selon les tarifs affichés par ce réseau de coaching, voire plus, chez l'un des concurrents. "Le tarif horaire, c'est à peu près 150 euros de l'heure, donc ça peut aller aller jusqu'à 1 000, 1 500, 2 000 euros", déclare Alexandre, dirigeant d'une entreprise de coaching depuis 15 ans. Une somme conséquente reconnaît-il, "mais quand vous regardez les conséquences financières d'une mauvaise orientation pour finir les parents s'y retrouvent", estime-t-il. Les résultats sont bons, dans cette entreprise de bilan d'orientation même si son patron veut rester discret.
"La demande augmente chaque année et la société est en progression constante chaque année."
Alexandreà franceinfo
Le secteur est donc en pleine croissance avec un nombre de coachs qui s'est multiplié, au moins par dix, constate l'entrepreneur et dont la qualité est bien sûr aléatoire. Les familles qui font appel à cet accompagnement privé estiment que l'école ne remplit pas assez bien cette mission, de l'orientation des élèves. Il faut dire que les psychologues de l'Éducation nationale sont de moins en moins nombreuses : chacune doit suivre en moyenne 1 500 élèves. Il est impossible de faire dans ces conditions, du sur-mesure. Par ailleurs les heures dédiées au post-bac avec les professeurs principaux sont souvent utilisées pour rattraper les retards de programmes.
Inégalité entre les étudiants
Mais ce développement du secteur privé, entraine des inégalités, entre les familles qui peuvent se le permettre et les autres, estime la sociologue Annabelle Allouch. Selon elle, la plateforme Parcoursup en tant que telle joue bien un rôle : "Ce fonctionnement algorithmique fait qu’on a un sentiment d’opacité extrêmement fort. L’expérience immédiate qu’on a du jugement scolaire, c’est le rapport à la machine. Cela crée un sentiment d’opacité, et aussi de ne pas avoir prise sur le jugement émis à l’égard de son enfant."
"On a l’impression que c’est la machine qui nous parle et qu’il est difficile de lui répondre, même s’il y a tout un ensemble de numéros verts qui sont disponibles."
Annabelle Allouch, sociologueà franceinfo
La spécialiste estime que d'autres secteurs se développent également sur ce terreau de l'anxiété, notamment dans le domaine de la santé ou celui de la justice. "Vous avez aussi chaque année à la même période, un pic de publicités autour d'anxiolytiques, de bêta-bloquants ou de médicaments types homéopathie", analyse-t-elle. "Vous avez aussi un marché d'avocats qui peuvent accompagner les familles autour d'un contentieux pour des contestations auprès du rectorat ou auprès des filières et des enseignants chercheurs eux-mêmes", affirme la chercheuse. "Mais ça aussi c'est source d'inégalités pour chaque étudiants n'ayant pas un accès égalitaire aux professionnels du droit ou à sa capacité à contester."
De très nombreuses écoles privées se sont enfin développées ces dernières années, dans l'enseignement supérieur. Certaines mettent clairement en avant qu'elles sont en dehors de Parcoursup. Écoles de commerce, d'ingénieurs, d'informatique ou paramédicales, elles vendent de la sérénité aux familles, un bel avenir sans stress. Le nombre d'étudiants dans l'ensemble des établissements privés a doublé en 20 ans. Cette croissance profite en même temps à des acteurs de bonne foi, à but non lucratif mais beaucoup à des groupes privés, qui réclament de la rentabilité.
Les services de la répression des fraudes se sont intéressés au sujet et ont épinglé des pratiques commerciales trompeuses. Le ministère de l'Enseignement supérieur se dit aussi "vigilant" sur le sujet, il a créé un groupe de travail qui doit rendre ses conclusions dans les prochaines semaines.
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