"On m'a proposé de faire des 'réels'" : sur des sites de photos érotiques, des étudiantes à la lisière de la prostitution
Pour quelques euros ou dizaines d'euros, des jeunes n'hésitent pas à vendre des images de leur corps. Une tendance qui s'est développée à la faveur des confinements et qui inquiète les associations.
C'est un phénomène en hausse, porté notamment par les derniers confinements : de plus en plus de jeunes filles ont trouvé un moyen de se faire l'argent en vendant des photos d'elles très dénudés, pour ne pas dire plus. On les appelle les "Instragram du porno" : "OnlyFans" un site britannique, ou "Mym" un site français. Leur fréquentation a explosé ces derniers mois. Le principe est simple : il faut payer pour être abonné à un compte, entre 5 et 50 euros, pour voir des photos, des vidéos, principalement de femmes en lingerie, nues ou en plein acte sexuel. Il y a des mannequins, des stars de la téléréalité ou du porno, mais aussi et surtout, des étudiantes, qui n'avaient plus de petits boulots pendant la pandémie de Covid-19.
"Je voyais pas mal de gens qui gagnaient bien leur vie avec ça et je me suis dit 'pourquoi pas'", témoigne par exemple Sarah, 18 ans, étudiante en région parisienne. Elle s'est lancée en octobre dernier, elle a désormais 200 abonnés, qui payent 14 euros par mois pour suivre son compte. "Au début, ça me rapportait à peu près 1 200 euros par mois, et là ça me rapporte dans les 3 000 euros par mois. Il y a des gens qui gagnent 50 000, j'ai vu 69 000, donc pourquoi pas continuer."
Risque d'un glissement vers la prostitution
Plusieurs fois par semaines, Sarah poste donc des photos d'elles en lingerie, en maillot de bain. Parfois, elle est nue, mais dans ce cas-là, elle ne montre pas son visage : "J'adore mon corps, j'adore la lingerie, donc ça ne me dérange pas de l'exposer. Par contre je ne me verrais pas faire des choses sexuelles comme ça sur internet. Mais je sais que ça se fait beaucoup, beaucoup, beaucoup. Je sais que la majorité, sur OnlyFans, font beaucoup de sextapes ou de choses comme ça."
C'est ce que confirme un autre "créateur de contenu" – c'est comme cela qu'on appelle ces personnes qui vendent des images de leurs corps. Bastien a 30 ans, il vend des vidéos de lui en caleçon ou dénudé : "Moi, je ne ferai jamais quelque chose pour de l'argent avec laquelle je ne suis pas à l'aise. Mais je pense que ça peut être un peu la limite de cette plateforme, si c'est utilisé par des jeunes de 18 ou 20 ans. Je pense qu'à cet âge-là, tu manques un peu de maturité, et tu peux faire des choses que tu n'aimes pas pour de l'argent." C'est là qu'on en vient au fond du problème : ces sites ne sont que la partie visible de l'iceberg.
Des parents très loin d'imaginer quoi que ce soit
Ce qu'a découvert franceinfo, c'est que sur la grande majorité des réseaux sociaux, ils sont des milliers de jeunes, parfois même des mineurs, à vendre des images de leurs corps. Sur Twitter notamment, il y a des centaines de profils de jeunes filles mineures, qui proposent des photos ou vidéos d'elles totalement nues. Nous avons pu échanger avec certaines d'entre elles, elles confirment qu'elles ont moins de 18 ans. Ces jeunes filles proposent même des grilles tarifaires : 5 euros une photo de pied, 15 euros la poitrine, 25 euros une vidéo. Elles envoient ces images sur la messagerie privée de l'acheteur, en échange d'un virement sur un compte PayPal. Évidemment, les parents ne sont pas au courant et souvent très loin de s'imaginer que ça puisse exister.
"Bien évidemment, le réflexe naturel du parent, et c'est bien normal, va être de dire 'pas mon enfant', analyse Justine Atlan, la directrice de l'association e-enfance. Donc c'est là qu'il y a un travail à faire, de leur montrer que, pour un ado aujourd'hui, ce n'est pas si compliqué à faire, parce qu'il n'y a pas de discours qui est fait dessus." En effet, pour les adolescents interrogés, tant que ça reste numérique, pour eux il n'y a aucun problème.
"On n'a même pas l'impression, quand on est jeune aujourd'hui, de transgresser quoi que ce soit en ayant ce type de pratique."
Justine Atlan, directrice de l'association e-enfanceà franceinfo
Sauf qu'avec cette marchandisation du corps à outrance, certains s'inquiètent d'un glissement vers la prostitution. Alors évidemment, ça n'est pas du tout la majorité des cas. La plupart disent faire la différence, entre le monde numérique et le réel. Mais ces jeunes filles sont très sollicitées.
"On m'a proposé de faire des 'réels', je ne savais même pas ce que ça voulait dire, mais en gros, c'est le fait de se rencontrer en vrai pour faire des choses, raconte ainsi Sarah. On m'a proposé vraiment des grosses sommes, comme 10 000 euros !" La jeune fille affirme avoir toujours refusé, mais pour d'autres, ça peut être plus compliqué. Et même quand il n'y a pas de passages au réel, il y a danger, selon Stéphanie Caradec, la directrice du mouvement du Nid, association nationale qui agit en soutien aux personnes prostituées : "Ce qui nous inquiète, ce qui nous préoccupe, c'est la banalisation de ces actes-là. Parce qu'on est dans le virtuel, mais la personne qui diffuse ces vidéos et ces photos se met en scène, parfois au détriment de son identité. Il peut aussi y avoir une marginalisation dans sa famille, dans ses amis, donc on a des effets qui sont assez proches de ce que l'on connaît dans la prostitution."
Pour aider ces jeunes filles et ces jeunes hommes, leurs parents également, un numéro vert contre les violences numériques a été mis en place : le 3018.
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