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Offensive de Veolia sur Suez : difficile de savoir comment va se terminer la guerre industrielle entre les deux géants mondiaux de la gestion des déchets et de l’eau

Cette guerre qui agite le monde économique et politique français oppose Veolia à Suez. Le premier veut racheter le second qui se rebelle. Un scénario à rebondissements où tous les coups sont permis.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Raymond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un stand de l'entreprise Veolia à côté de son concurrent Suez durant le salon des maires, le 22 novembre 2017 à Paris (photo d'illustration). (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Nous avons en France les deux poids lourds mondiaux de la gestion des déchets et de l’eau : Veolia et Suez. Ce sont les petites-filles de la Compagnie générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux. Les deux entreprises collectent les poubelles, les trient et les recyclent. Elles gèrent aussi l'eau qui coule dans notre robinet. Vous ne les connaissez peut-être pas et pourtant elles sont très concrètement dans votre vie quotidienne. "L’histoire de Suez, c’est l’histoire d’une ambition", "Veolia environnement ce sont des centaines de milliers de personnes qui gèrent l’eau, l’énergie, les transports et la propreté", peut-on entendre dans des publicités des deux groupes.

>> Offensive de Veolia sur Suez : six questions sur une tentative de rachat controversée à l'issue incertaine

Le numéro 1 du secteur c'est Veolia, 180 000 salariés à travers le monde dont 50 000 en France. Son patron est Antoine Frérot. Un dimanche soir, encore en pleine torpeur estivale, sans sommation ni préavis, il lance les hostilités par le biais d'un communiqué dans lequel il dit vouloir s'emparer de son concurrent direct : Suez et ses 90 000 salariés dont 30 000 en France. Le lendemain, lundi 31 août, Antoine Frérot explique pourquoi il veut réaliser cette opération sur l'antenne de franceinfo : "Pour créer en France le super champion mondial de la transformation écologique. Dans un marché mondial, la taille c’est capital." 

Suez ne se laisse pas faire

Une opération "hostile", "aberrante" et "funeste", la réaction est à la hauteur de l’attaque. Suez active son réseau et recrute des boites d'influence bien connues de la place financière de Paris. Les tribunes se succèdent dans les journaux économiques pour dénoncer l’opération. Dirigeants et ex-dirigeants de Suez expriment leurs craintes notamment sur l’emploi.

Dans le même temps les syndicats montent au créneau. "Il est hors de question que cette OPA débouche sur une boucherie sociale parce que c’est le mot ça va être une boucherie", déclare Franck Reinhold, délégué CGT, lors d'une manifestation début septembre à la Défense. "Trouvez-moi une opération de cette ampleur où il n’y a pas eu de doublons où il n’y a pas eu de casse sociale, je suis preneur mais je n’en vois pas", poursuit le syndicaliste auprès des journalistes.

Toutes les dernières méga-fusion finissent généralement très mal pour l’une des deux parties.

Franck Reinhold, délégué CGT à Suez

Selon les estimations de Suez, ce sont quelques 10 000 emplois qui sont menacés dans l’opération dont 4 000 en France.

Une opération utile ? 

Il est compliqué d'y voir clair dans cette opération. La concurrence chinoise existe, tout comme les ambitions européennes de ces nouveaux acteurs asiatiques . La preuve, les numéros deux du secteur en Espagne et en Allemagne sont passés sous pavillon chinois. La recherche et développement coûte cher. Alors autant mettre ses moyens en commun.
 
Mais cela ne suffit pas à se positionner en faveur de la création d'un mastodonte. "On est sur deux entreprises qui font la même taille, explique Nicolas Mazzucchi, de la Fondation pour la recherche stratégique. Elles se battent pour être premier sur les services environnements et les services de l'eau à peu près chaque année. Et finalement, cette compétition donne lieu à une émulation très forte que ce soit dans l’innovation technologique ou dans l’offre commerciale qui est faite."

le risque majeur c’est de se dire qu’un mastodonte, qui serait hyper dominant sur le marché, n’aurait plus besoin d’être dans cette compétition très aiguisée.

Nicolas Mazzucchi, de la Fondation pour la recherche stratégique

à franceinfo

Il y a selon ce chercheur un risque d'endormissement avec une entreprise qui "pourrait avoir une certaine tendance à se reposer sur son savoir faire et donc à terme être pénalisé par sa propre taille."  Mais ce n'est pas tout, des élus locaux craignent aussi de ne plus avoir le choix dans le futur avec une absence de concurrence. Même si le puissant président de l'Association des maires de France, François Baroin, se garde bien de prendre position sur ce dossier délicat et politique. D'autres n'ont pas hésité à monter au créneau, notamment les maires de Toulouse Jean-Luc Moudenc ou de Dijon François Rebsamen.

L'État actionnaire veut jouer les arbitres

La campagne d'influence est devenue tellement intense que l'État a demandé une trêve dans cette guerre de tranchée sanglante. Fini de faire les gros bras explique une source gouvernementale, il faut donner une meilleure image du capitalisme français. L'État va maintenant jouer les arbitres de ce duel Suez-Veolia car comme dans tout feuilleton industriel hexagonal qui se respecte : il n’est jamais loin. Et là, c'est comme actionnaire de référence du vendeur, à savoir Engie. Autant dire que son accord est capital. L'exécutif a d'abord laissé entendre que le rachat par Veolia était une bonne idée, par le biais du Premier ministre Jean Castex mais depuis il est plus prudent. L'État n'a pas fait son choix et refusera la précipitation, martèle désormais le ministre de l'Économie  Bruno Le Maire.
 
Au prochain épisode, on saura si Suez a trouvé une alternative à l'offre de Veolia. Si c'est le cas elle sera présentée au conseil d'administration d'Engie qui se tiendra vendredi prochain. Avec un clap de fin ? Ou le lancement du nouvelle saison ? L'avenir proche le dira.

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