Lettres d'intimidation, menaces de plaintes... Le mouvement anti-vaccin fait pression sur les Ehpad
Depuis le début de la vaccination fin décembre, des mails malveillants ont été envoyés à des directeurs d’Ehpad pour les inciter à ne pas vacciner les résidents contre le Covid-19.
Une étape a-t-elle été franchie ? Alors que la vaccination contre le Covid-19 a démarré le 27 décembre dans les Ehpad en France, le mouvement anti-vaccin s’attaque aux établissements pour personnes âgées en envoyant des courriers les menaçant d’action en justice. Au moins une association et un collectif ont envoyé des mails à plusieurs directeurs d’Ehpad pour les avertir de possibles poursuites judiciaires.
Après des menaces contre des médecins il y a quelques mois, cette pression envers des maisons de retraite est inédite selon plusieurs organisations professionnelles. Il est difficile de savoir précisément combien de courriers ont été envoyés car en pleine campagne de vaccination, les Ehpad n’ont pas systématiquement signalé ces mails. D'après ceux que nous avons pu consulter, il y a eu plus d’une centaine de destinataires.
Au moins deux groupes ont envoyé des mails menaçants
L'un des courriers est écrit par un homme qui se présente comme un citoyen "préoccupé du sort qui sera fait à nos anciens". Il signale qu’une plainte contre X a été déposée notamment pour "mise en danger de la vie d’autrui", par une association qui s’appelle Réaction 19. La plainte est d’ailleurs en pièce jointe et les directeurs d'Ehpad pouvaient la consulter. Le mail est écrit sur un ton plutôt inquiétant : "Il s'agit d'une mise en garde sur les poursuites auxquelles vous vous exposeriez si vous faisiez de nos anciens les cobayes des compagnies pharmaceutiques." L'auteur de ce courrier poursuit en citant des extraits du code pénal, notamment les délits d'abus de faiblesse, de tromperie ou encore d'extorsion.
Le caractère menaçant de ces courriers a agacé les professionnels des Ehpad, fatigués après avoir affronté deux vagues de Covid-19. Ces lettres ont aussi inquiété suffisamment pour alerter les autorités. Le Synerpa, le syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées, a fait un signalement au procureur de la république de Paris. Il a aussi mis à disposition de ses adhérents une boîte mail pour faire remonter les incidents.
"Ça a légèrement inquiété quelques directeurs, reconnaît Pascal Champvert, le directeur de l’ADPA, l'association des directeurs aux services des personnes âgées. Tous les directeurs n’ont pas de compétences juridiques très poussées et ils peuvent être un peu inquiets quand on vous menace de dépôt de plaintes. Pour autant, nous les avons rassurés en tant qu’organisation professionnelle."
Ce genre de courriers et de menaces fait basculer notre société dans quelque chose d’extrêmement malsain. Croire qu’on peut faire bouger une société par la menace, c'est un reflexe malsain, même mafieux.
Pascal Champvertà franceinfo
"Cette lettre n’a aucune valeur juridique", tonne Jean-Pierre Versini-Campinchi, l’avocat du Synerpa, le syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées. "C’est une pression qui n’est pas admissible", poursuit l'avocat. On notera que le mail envoyé aux directeurs d'Ehpad contient des erreurs et des imprécisions. Par exemple, il précise que la plainte contre X "a été déposée auprès des sénateurs et députés", or une telle procédure n'existe pas.
"C’est une absurdité complotiste parfaite, poursuit Jean-Pierre Versini-Campinchi, l’avocat du Synerpa. Cette plainte n’aura aucun effet et ne dénonce aucun fait précis puisqu’elle n’est fondée que sur des articles de presse. Il n’y a pas de rapport médical par exemple." L’annexe de la plainte cite effectivement de nombreux articles de presse, issus soit de médias crédibles soit de sites connus pour diffuser des intox.
Indéniablement, c’est une campagne de désinformation. C’est dirigé contre les directeurs d’Ehpad en les menaçant de devenir complices de mise en danger de la vie d’autrui, il y a une attaque directe. D’ailleurs la lettre se termine en disant qu’il ne faut pas que les personnes âgées deviennent des cobayes. Il y a une volonté de nuire, de menacer et d’intimider.
Jean-Pierre Versini-Campinchià franceinfo
L’avocat des footballeurs devenu anti-vaccin
Derrière l’association Réaction 19, on retrouve Carlo Alberto Brusa. Cet avocat italien du barreau de Paris a été l’avocat de Franck Ribéry lors de l’affaire Zahia. Il a défendu également plusieurs footballeurs comme Didier Deschamps, Zinedine Zidane ou encore Marco Veratti avant de devenir l’une des têtes d’affiche des anti-vaccins ces derniers mois, après avoir attaqué les masques et le couvre-feu au nom de son association.
Carlo Alberto Brusa, invité régulier de certains plateaux de télévision, mobilise sur les réseaux sociaux et multiplie aussi les vidéos sur Youtube, où il compte plus de 66 000 abonnés. Durant ses lives réguliers, il fait le point sur les plaintes en cours, commente l’actualité et dénonce la "dictature sanitaire". Lors d’une de ses vidéos en janvier 2021, il définit son association comme un "brise-glace". "Ce que Réaction 19 est en train de faire, elle brise les glaces. La plainte déposée secoue le cocotier. J’assume la responsabilité de faire mais après c’est à vous de faire votre travail parce que nous ne pouvons pas nous déplacer dans tous les coins de France", explique-t-il. En clair, l’association porte plainte et laisse ses militants la diffuser et en faire la promotion sur les réseaux sociaux ou auprès des Ehpad.
Réaction 19 propose aussi sur son site des modèles de contestation, uniquement pour ceux qui ont payé une cotisation de 10 euros à l'association, qui revendique 50 000 adhérents. Ils peuvent ensuite trouver une lettre-type pour contester une amende pour non-port du masque ou pour un rassemblement interdit sur la voie publique. Le but de Réaction 19 est de contester toutes les mesures sanitaires prises par le gouvernement.
>>> Après la publication de cet article, l'association Réaction 19 a réagi par communiqué auprès de franceinfo. Elle affirme avoir été informée de l’envoi de mails à des directeurs d'Ehpad mais assure n'être "en aucun cas à l’initiative de l’envoi de ces courriels". "Le simple fait d’être adhérent à une association ne confère aucunement le droit d’agir au nom de ladite association, poursuit le communiqué. Par conséquent, si une ou plusieurs personnes ont adressé de tels courriels, cette action relève d’une initiative strictement personnelle et nullement de celle de Réaction 19."
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