"Les gens sont à cran" : en Dordogne, le choc de la percée de l'extrême droite dans une terre historiquement de gauche
Une "surprise", un "choc". Ce sont les mots des Périgourdins après l'énorme poussée du Rassemblement national aux législatives dans le département. Dans cette terre pourtant historiquement de gauche, l’extrême droite a raflé trois des quatre circonscriptions alors que le parti de Marine Le Pen n’en avait emporté qu’une seule en 2022.
Dans la 1e circonscription, celle de Périgueux, le RN est passé d'une courte tête : 50,09%, face au Nouveau Front populaire. Si pour la plupart des habitants, la bascule se vit dans la quasi-indifférence, pour d'autres, en revanche, on ressent comme une cassure et la peur de voir le vivre ensemble mis à mal.
"Avant ils se cachaient"
Dans cette Dordogne très verdoyante, hormis Périgueux et sa périphérie, le reste de la circonscription, soit 41 villages sur 50, a placé le RN en tête. Dans ces vallées qui bordent la rivière de l'Isle, beaucoup de maisons, comme dans cette rue de Razac-sur-l'Isle, 2 300 habitants. Très peu parlent politique ouvertement comme ose en témoigner Anne-Marie, retraitée. "On dirait que ça les gêne de parler, chacun est dans son petit coin".
Il faut aller au bar-tabac pour que les langues se délient un peu plus. Dans le village de Mussidan, à dix minutes de route, certains clients disent désormais tout haut voter RN. "Avant le RN ils se cachaient, maintenant ils disent qu'ils votent", témoigne Patrick, la cinquantaine. Bruno, lui, est né en Dordogne, il assure que les dernières élections ont créé une tension dans le village qui pèse sur les relations. "On le voit tous les jours. Les gens sont à cran, s'individualisent de plus en plus". Jean-Laurent habite le village de Mussidan depuis cinq ans et note les regards de certains sur ses différences.
"Moi je suis quelqu'un qui vient d'ailleurs, je viens de l'île de La Réunion, je comprends que quand tu arrives dans un village les gens sont un peu étonnés. Moi j'ai des locks, c'est pas très courant : à Mussidan tu ne verras pas beaucoup de rastas ! Donc je me suis adapté."
Jean-Laurent, un habitant de Mussidanà franceinfo
Anaïs, 26 ans, habite Périgueux et assure que le climat libère la parole de certains. Cette semaine, après les élections, elle dit avoir entendu des propos racistes. "Ma voisine qui dit qu'elle en a marre des noirs et des Arabes à Périgueux et qu'ils doivent partir à la campagne. Et on le dit comme ça dans la rue, il n'y a pas de problème". Elle dit aussi avoir entendu des propos homophobes qu'elle rapporte : "De toute façon toi t'es pédé, t'as rien à faire là".
En terrasse, son ami Erwan fait partie d'une association de lutte contre l'extrême droite, et contre l'homophobie. "L'extrême droite utilise le mot 'wokisme' pour désigner un ennemi invisible". Erwan et Anaïs disent craindre désormais des agressions non plus verbales, mais physiques.
Beaucoup se posent aussi la question de taire leurs convictions par crainte des représailles, surtout dans des villages à taille humaine où tout le monde se connaît. Le propriétaire de la librairie Les Bullivores, installée à Périgueux depuis 2010, a voulu pendant l'entre-deux tours afficher des messages anti-Rassemblement national sur sa devanture.
"Une fois qu'on a affiché les 'Siamo tutti antifascisti', les 'No pasaran' en vitrine, on entendait dans la rue des gens dire 'Je ne rentrerai jamais là-dedans'. En se positionnant clairement contre le RN, on allait décevoir ou rebuter certaines personnes".
Guillaume, patron d'une librairieà franceinfo
Au lendemain du second tour, Guillaume a retrouvé sa vitrine fracturée. "J'essaie de me rassurer en me disant que c'est un acte isolé et ponctuel. Mais on n'est même pas connus comme une librairie militante, on n'est pas dans une ville difficile, et c'est quand même arrivé ici". Une plainte a été déposée. Mais les auteurs n'ont pas encore été retrouvés. Pour Guillaume, pas de doute, ce sont bien les affiches anti-RN qui expliquent le vandalisme. "Pour des affiches, c'est disproportionné". Pour l'instant, il assure toutefois vouloir faire "profil bas".
"On verra si le RN a convaincu"
De leur côté, les électeurs qui ont voté Rassemblement national en Dordogne se veulent pour la plupart rassurants. Ils soutiennent que la victoire du RN dans les trois circonscriptions n'affectera pas les relations entre les habitants. Gurwan, 28 ans, vote RN depuis les européennes et se veut philosophe : "Je comprends que le RN puisse représenter une menace pour les autres, moi-même j'ai conscience que ce n'est pas forcément bon sur tous les points". Il estime toutefois qu'il faut essayer avant de pouvoir juger.
"ll va y avoir des craintes mais les prochaines élections sont dans trois ans. D'ici là on va bien voir ce que ca va donner avec le RN. Et aux prochaines élections on verra qui on choisit, si on repart sur quelques chose comme Ensemble!, si on redonne une chance à la gauche ou si le RN a convaincu ou non."
Gurwan, électeur RNà franceinfo
D'autres affirment avoir voté RN non pas pour des questions locales, mais plutôt pour exprimer ce qu'ils attendent au niveau national.
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