"Je me retrouve avec zéro" : ces Français qui ont basculé dans la pauvreté à cause de l'épidémie de Covid-19
L'épidémie de coronavirus a entraîné une "nouvelle" pauvreté. Elle touche beaucoup de monde et notamment des commerçants ou des artisans qui ont vu leurs revenus chuter brutalement.
De nouvelles mesures doivent être annoncées samedi 17 octobre par le gouvernement pour lutter contre la pauvreté. Des jeunes et des retraités, mais aussi des commerçants ou des artisans, ont vu une chute drastique de leurs revenus à cause de l'épidémie de Covid-19.
Cette "nouvelle" pauvreté touche beaucoup de monde. Un chiffre est évoqué, celui d’un million de Français que la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté. Il fait débat, certaines associations, comme le Secours populaire affirment qu'il est trop tôt pour savoir, d’autres jugent que c'est une estimation tout à fait crédible. Sachant que l'an dernier, 9,3 millions personnes étaient déjà sous le seuil de pauvreté. Pour un adulte seul, il correspond à moins de 1 063 euros par mois. Et si on regarde un seul indicateur : le Revenu de solidarité active (RSA), les départements, qui le versent, constatent une tendance "préoccupante".
"Je veux pouvoir bosser"
Plusieurs acteurs confient n'avoir jamais connu une telle situation en France depuis plus de 30 ans. À Besançon, Annie a ouvert il y a cinq ans son petit institut de beauté tout propret. À l’intérieur, les faux ongles et les appareils à manucure cohabitent avec les flacons de gel hydroalcoolique. Si l'année 2020 commençait en trombe, aujourd’hui du côté de son agenda c'est morne plaine : "Là, je suis archi-vide. Demain, j’ai un rendez-vous avec une cliente, ensuite je n’ai absolument rien. Donc, je me retrouve avec zéro, nada, que tchi. J’ai fait une demande de RSA. Je touche 341 euros précisément par mois. On m’a dit : 'Mais vous êtes sûre que vous faites le nécessaire pour remonter votre entreprise ?' Bah oui, ce n’est pas une fierté, ce que je veux, c’est de pouvoir bosser".
Depuis février, et les premiers rendez-vous annulés, c'est la dégringolade. À ce moment-là, l'esthéticienne de 28 ans vient tout juste de se séparer de son compagnon qui devenait violent. Elle dort dans son institut avant qu’un ami lui propose de l’héberger. Désormais, c'est une vie toute rétrécie. "Avec 341 euros par mois, je ne mange qu'une fois par jour, indique Annie. Je carbure au café pour que ce ne soit pas que mon ami qui paye tout. J’ai quand même ma fierté. C’est con de dire ça mais ma fierté en a pris un coup".
Aujourd’hui, je me sens dépitée et en même temps fière parce que je n’ai pas encore mis la clé sous la porte.
Annie, 28 ans
La jeune femme raconte être "fatiguée de devoir compter le moindre centime, et en colère parce que j’ai l’impression qu’on nous crache visage en nous disant : ‘On vous aide puis au final, on ne vous aide pas.' Il y a six ans et demi, j’ai vaincu le cancer et aujourd’hui je me dis si le cancer n’a pas réussi à m’avoir, le Covid et l'État ne m’auront pas non plus."
Annie est très digne, ses larmes pointent au coin de ses yeux parfaitement maquillés mais ne coulent pas. Pourtant des moments de découragement, elle en a eu : "Oui, à un moment donné je suis sortie sur le balcon au 7e étage puis je me suis dit : ‘Punaise mais ce n’est pas juste, je vais me foutre en l’air, qu’on nous crache au visage comme ça…'" Aujourd'hui Annie tient bon mais la colère, souvent, l'envahit et le coup de pouce de 150 euros promis par le chef de l'État ne lui semble pas du tout à la hauteur.
Une perte de revenu
Parfois, c'est la chute entre un niveau de vie confortable, et le nouveau quotidien, à l'euro près, qui est brutal. De 2 500 à 3 000 euros chaque mois, c’est ce que gagnait par exemple cette créatrice de robes de mariée, installée en Bourgogne-Franche-Comté qui se décrit comme une "Française moyenne". "J’allais au restaurant, des concerts ou des pièces de théâtres, énumère-t-elle. Je partais en vacances tous les ans. Je m’achetais de beaux vêtements." Aujourd’hui, elle vit avec à peu près 750 euros par mois : "Je fais attention à mes courses alimentaires et ne mange pas beaucoup de viande. J’ai renégocié mes contrats d’assurance et mon contrat de box internet. Je ne sors pas. J’achète tout d’occasion et vends des choses aussi".
Ce qui marque, c'est la fierté, la dignité dans ces profils. Ce n'est facile pour personne évidemment d'appeler au secours mais les indépendants, par définition, aiment être autonomes. "C’est très dur de demander de l’aide, ce n’est pas dans notre tempérament, indique Danielle. Cette femme de 60 ans fait de l'artisanat médiéval dans le Var. "On a l’habitude de travailler beaucoup, poursuit-elle. Mais là, j’ai été dans l’obligation de demander le RSA, et puis certainement de m’inscrire aux Restos du Cœur."
C’est quand même dommage qu’au bout de tant d’années, après avoir travaillé comme j’ai travaillé, de me retrouver comme ça du jour au lendemain. En fin de compte, on s’aperçoit que l’on peut être vite dans la précarité.
Danielle, 60 ans
Toutes et tous montrent une grosse rancœur, malgré les mesures annoncées. "Je suis en colère contre le gouvernement qui nous laisse un petit peu de côté, explique Danielle qui compare "les grosses sociétés" et "les petits, ceux qui font marcher la France". Elle estime que "pour les indépendants en fin de compte, il n’y a pas grand-chose qui est fait". Un sentiment d’injustice qu'on ne sent pas loin, de basculer vers une très grosse colère sociale.
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