Sites pornographiques : en plus du blocage de l'accès aux mineurs, ces professionnels appellent à revoir l'éducation sexuelle en France
L'Arcom, le régulateur des médias et d'internet, estime que cinq sites pornographiques n'empêchent pas suffisament leur accès aux mineurs et demande leur blocage au tribunal de Paris.
Les sites pornographiques vont-ils être bloqués en France ? Une audience devant le tribunal judiciaire de Paris a lieu dans la matinée du mardi 6 septembre sur ce sujet. C'est l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qui demande ce blocage de cinq sites (Pornhub, Tukif, XHamster, XVideos et Xnxx). Selon le régulateur des médias et d'internet, ils n'empêchent pas suffisamment les mineurs de les consulter puisqu'il suffit de cliquer sur "Oui, j'ai plus de 18 ans" pour y accéder.
Or, le code pénal interdit d'exposer les mineurs à des images pornographiques. La récente loi de 2020 sur les violences conjugales précise qu'aucun site à caractère pornographique ne peut s'exonérer de sa responsabilité et doit empêcher l'accès des mineurs à ses contenus.
Reste que les adolescents interrogés ne s'en cachent pas vraiment : ils regardent du porno. Et quand on leur demande s'ils ont bien 18 ans, la réponse est claire : "Non", répond un jeune homme. "Pourtant, tu cliques sur 'oui' quand tu vas sur un site porno ?" "Euh… non !", répond moins assuré le jeune homme déclenchant les rires de ses camarades : "Il faut parler franchement", lance l'un d'entre eux.
Un manque d'éducation sexuelle
Deux jeunes filles de 15 ans acquiescent à l'unisson quand on leur demande si elles sont déjà allez sur un site porno. Mais alors pourquoi vont-ils voir ces contenus ? "Par curiosité", "pour savoir les détails", "pour ne pas avoir de surprises", répondent ces jeunes encore mineures. Pourtant, les critiques sur le porno sont nombreuses : il est souvent dénoncé comme dégradant pour l'image des femmes, érotisant une certaine violence.
Une image de l'acte sexuel loin de la réalité pour ces jeunes ? "Ça dépend", répondent des jeunes filles. Un garçon concède que "certains pensent que c'est vraiment comme dans les films pornos, ils disent si je ne fais pas comme ça elle ne va pas aimer, je dois faire ça fort ou ça vite." Et ces idées, les jeunes peuvent se les faire de plus en plus tôt. À 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà vu du porno, selon le site gouvernemental jeprotegemonenfant.gouv.fr.
C'est parfois même encore plus jeune. "J'avais 9 ou 8 ans" pour son premier porno, confie une jeune fille ce qui étonne sa camarade : "Mais toi c'est jeune !" "Mais c'est parce que les gens de la classe il en parlé du coup bah…", se justifie la jeune fille. "J'étais tombé sur certaines vidéos qui m'avait choqué quand j'étais assez jeune avec des animaux", explique un garçon. "Je me rappelle au collège, dans les vestiaires, il y avait des mecs qui avaient 13 ans qui regardaient du porno sur leur téléphone, ils étaient tous affolés autour de ça... C'était un peu bizarre", confie l'un des jeunes. "Moi, ça m'a beaucoup marqué en fait, à ce moment-là, il n'y a aucun cours, ça commence au collège", se souvient un autre.
Ce constat du manque d'éducation sexuelle est d'ailleurs partagé par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Sur les 21 cours obligatoires tout au long de la scolarité, les élèves français n'en suivent en moyenne que trois. Et ils sont plutôt consacrés à la reproduction et la contraception qu'aux questions de consentement.
"Éviter que la pornographie devienne une sorte de tutoriel"
Et c'est assez inquiétant parce qu'il semble y avoir des répercussions chez les adolescents. Si les stéréotypes sexistes reculent chez l'ensemble des Français, la "culture du viol" persiste chez les plus jeunes. Et le porno peut en être responsable comme quand ces jeunes filles confient prendre comme repères des vidéos pour accepter des rapports sexuels violents. "Évidemment que ces propos ne me surprennent pas", lance Thomas Rhomer, fondateur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique. Selon lui, il faut déconstruire ces images à l'école : "Clairement, il faut parler de porno à l'école parce que cela fait partie de la vie des enfants et des adolescents. Évidemment, le risque c'est que les stéréotypes véhiculés par la pornographie deviennent une sorte de tutoriel. Ce que disaient ces jeunes filles, c'est quand même assez questionnant."
"C'est gênant dans les rapports filles-garçons parce que l'on sait aujourd'hui que la pornographie, dite 'mainstream', est quand même très orientée autour du plaisir masculin. Elle ne tient absolument pas compte de la place des femmes qui ne sont pas toujours très bien représentées, voire même plutôt maltraitées, ce que nous dénonçons régulièrement."
Thomas Rhomer. Il est le fondateur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numériqueà franceinfo
Il faut donc plus d'éducation sexuelle. Mais il existe d'autres pistes. Une des idées, qui peut choquer, ce serait que des professionnels du secteur interviennent auprès des jeunes. "J'aimerais bien en fait", déclare Nikita Bellucci qui est volontaire. Cette star du porno a été victime de cyberharcèlement de la part de jeunes - et de moins jeunes - qui regardent ses vidéos. "Par exemple, je me tue à dire en interview, quand on me pose la question : 'Est-ce moi je prends du plaisir sur mes scènes ?' J'explique que non, je ne prends pas de plaisir, que c'est un travail. Sauf qu'il manque énormément de pédagogie là-dessus auprès des mineurs. 'Comment mettre le préservatif ?', 'la femme a un clitoris'..., ça, on est tous au courant. Maintenant, il faut passer à l'étape supérieure."
"J'ai l'impression que tout le monde fait un peu l'autruche parce que tout le monde a peur de parler de ces sujets-là."
Nikita Bellucci, actrice pornoà franceinfo
"Pourquoi pas, je ne sais pas, venir en classe de troisième ? Et allez-y, les enfants posez-nous vos questions !, lance l'actrice. Même les questions les plus farfelues. Parce que le fait de ne pas répondre à leurs questions, ils n'ont pas de réponse. Après, il ne faut pas s'étonner qu'il ait des dérives. En plus de ça, dans certaines familles, on ne parlera pas de pornographie ni de sexualité." Un tabou encore trop pesant, alors que les petits Français veulent grandir trop vite. Aujourd'hui c'est en moyenne en CM1 qu'ils obtiennent leur premier smartphone avec tous les risques que cela comporte.
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