"Gilets jaunes" : deux ans après le début du mouvement, la colère ne retombe pas à Montargis
Dans cette commune du Loiret, département où une personne sur trois vit avec moins de 1 000 euros par mois, le souvenir des manifestations est encore vif. Le besoin de solidarité, le sentiment de déclassement et l'esprit de révolte habitent encore les militants.
Il y a deux ans, jour pour jour, le 17 novembre 2018, éclataient les premières manifestations de l'un des mouvements sociaux le plus importants de ces dernières décennies. Sur les ronds-points, dans les rues, aux péages, les "Gilets jaunes" ont catalysé la colère de la France des oubliés. Franceinfo est retourné dans l'un des fiefs du mouvement, à Montagris, dans le Loiret.
"Les nouveaux 'Gilets jaunes' ce sont les commerçants"
Fast-food, hypermarché, parkings, bitume... La périphérie de Montargis est un endroit sans âme, ou presque. En y regardant de plus près, il y a ce rond-point : un monticule de terre, épicentre de la contestation des "Gilets jaunes" du Loiret. "Là, vous avez les pieds sur le campement du fameux rond-point 'cacahuète', nous indique Jérémy Clément, un des porte-voix du mouvement, en 2018. Il y a eu une grosse mobilisation ici, des débats magnifiques et des débats houleux."
Il y a eu beaucoup de disputes, mais il y a eu beaucoup d'amour surtout, et c'est pour ça que ça a tenu le coup tellement longtemps.
Jérémy Clémentà franceinfo
"Il y a eu une fraternité retrouvée qui n'existait plus. Comme vous le voyez là, ça klaxonne", nous fait remarquer Jérémy Clément. Une automobiliste s'arrête devant lui : "Je vous ai reconnu. Voila, je voulais juste vous dire que la cause avait été noble et belle."
Cette cause, celle des "Gilets jaunes" n'a rien perdu de son actualité selon Jérémy Clément : "Ce déclassement qui a fait naître le mouvement des 'Gilets jaunes' est en train de s'agrandir à travers la crise sanitaire et économique. Et pour moi, les nouveaux 'Gilets jaunes', ce sont les commerçants, puis ce seront les restaurateurs, les cafetiers, explique-t-il à franceinfo. Vous avez des gens qui, à l'époque, ont manifesté parce que ce qu'on leur avait promis - je pense aux retraités et leur 40 annuités - n'était pas à la hauteur d'une vie d'aujourd'hui. Eh bien maintenant, on est en train de faire la même chose avec des gens qui ont investi 10, 15, 30, 40 ans de leur vie dans des commerces et à qui on est en train de tout enlever."
Deux ans après le début du mouvement, la colère ne retombe pas à Montargis, où une personne sur trois vit avec moins de 1 000 euros par mois. "J'en ai marre de travailler et de ne pas pouvoir vivre", confie Sarah que nous retrouvons sur le parking d'un supermarché. Dans son coffre, toute la panoplie du "Gilet jaune" :"J'ai les casquettes, des fichus quand on pouvait se cacher le visage, un gros manteau 'Gilet jaune', mes gants. Tout est prêt."
Tout est prêt pour retourner au combat. Sarah, standartiste dont la vie était plutôt rangée avant le 17 novembre 2008, fait partie de ces "Gilets jaunes" qui ont goûté à l'adrénaline, au grand frisson : affronter les forces de l'ordre. Avec des étoiles dans les yeux, Sarah sort son téléphone portable et se souvient de ses faits d'armes. "Là, en fait, on avait fait une barricade, le premier jour où il n'y avait aucune voiture qui passait. Dans le métro, on chantait. C'est une joie de faire de l'interdit. C'est ça qui était bon aussi, de savoir qu'on faisait des choses qui ne sont pas légales. On n'a pas le droit et on se donne le droit de le faire."
Une étiquette qui fait tâche sur le CV
Cette fibre contestataire n'a pas empêché les manifestantes et manifestants de formuler des revendications claires, notamment sur le pouvoir d'achat. Qu'en reste-t-il, deux ans après le début de la contestation ? Quelles avancées concrètes ont-ils obtenu depuis 2018 ? Au total, le gouvernement a mis 17 milliards d'euros sur la table, en additionnant différentes mesures. Des membres du mouvement, que franceinfo a contactés, mettent en avant la prime Macron. D'autres citent la baisse de l’impôt sur le revenu ou la défiscalisation des heures supplémentaires. "Oui ce sont des avancées, mais ce n'est pas assez, on voulait une remise à plat du système", expliquent plusieurs "Gilets jaunes" que nous avons rencontrés.
Sans avoir jamais désigné de véritable leader, le mouvement a fait émerger des figures médiatiques, des porte-paroles. L'étiquette "Gilets jaunes" semble aujourd'hui faire tâche sur leur CV. Jérome Rodrigues, connu pour avoir perdu un oeil lors d'une manifestation, est au chômage, hébergé par des amis. Priscillia Ludosky, à l'origine de la pétition sur le prix de l'essence, a envoyé 200 CV pour trouver un travail dans l'associatif, en vain.
Ingrid Levavasseur, qui avait initié une liste "Gilets jaunes" aux dernières élections européennes, est aujourd'hui secrétaire dans l'entreprise d'un ami. Malgré une formation d'aide-soignante, elle n'est pas parvenue à retrouver du travail dans sa branche.
Toutes les candidatures que je présente n'ont aucune réponse. C'est assez sidérant puisque nous sommes en pleine pandémie, comme vous le savez.
Ingrid Levavasseurà franceinfo
"J'ai tellement pleuré de ne pas avoir de réponse. Je me suis beaucoup remise en question. Je n'aurais jamais imaginé ça. Et d'ailleurs, si j'avais su ça, je ne me serais jamais engagée dans cette péripétie", lâche Ingrid Levavasseur.
Pour autant, l'engagement d'Ingrid Levavasseur reste intact. Et le combat de ces figures du mouvement prendra de nouvelles formes, affirme-t-elle. Depuis deux ans, 300 collectifs citoyens ont notamment été montés à travers la France, avec en ligne de mire l'élection présidentielle de 2022 autour d'un candidat commun.
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