Budget : comment les députés ont préparé l'examen du projet de loi de finances sans majorité absolue à l'Assemblée
Jour J pour le projet de loi de finances qui arrive dans l'hémicycle, lundi après-midi. Un texte stratégique contre lequel tous les groupes d'opposition ont l'intention de batailler alors que le gouvernement agite déjà la menace du fameux article 49.3.
Les députés démarrent lundi dans l'hémicycle l'examen tumultueux du projet de budget 2023, un texte que le gouvernement se prépare déjà à faire passer sans vote, faute de majorité absolue pour les macronistes. Plus de 3 000 amendements ont été déposés sur ce premier volet du projet de loi de finances (PLF), qui comprend notamment un "bouclier tarifaire" de 45 milliards d'euros face à l'explosion des prix de l'énergie. Un marathon budgétaire qui va donc s'engager jusqu'à décembre.
Mais que se passe-t-il avant les grandes envolées théâtrales en plénière ? Un texte de loi fait d'abord l'objet de discussions et de plus en plus de négociations dans le nouveau contexte de majorité relative. Et au cours de ses derniers mandats, le centriste Bertrand Pancher n'avait jamais connu ça : être dans l'opposition et avoir l'impression d'être enfin écouté pour faire bouger les lignes. "Il n’échappe à personne qu’il n’y a plus de majorité absolue, souligne le centriste. La négociation est maintenant régulière parce qu’il faut avoir une majorité. Je suis président de mon groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires. J’entraîne le vote de vingt parlementaires et il ne se passe pas un jour sans que j’aie une rencontre avec un ministre ou un contact avec la Première ministre".
Les Républicains les plus courtisés
Les plus courtisés restent cependant les députés Les Républicains. Au nombre de 62, s’ils s’unissent aux 250 députés de la coalition macroniste, ça suffit à atteindre la majorité et à faire passer une loi. "Comme on est les seuls à dire qu’on est là pour faire changer les choses pas pour les bloquer, forcément le gouvernement se tourne beaucoup vers nous", reconnaît Antoine Vermorel. Le député LR de la 5ème circonscription de la Loire sait que son groupe est en position de négocier. Invité récemment à un petit déjeuner au ministère de la Transition écologique, le jeune député et ses collègues en ont profité pour poser des lignes rouges sur le prochain texte énergies renouvelables.
"On a un sujet sensible, c’est l’éolien terrestre, glisse-t-il. On considère que sur cette énergie-là, il doit y avoir un accord des populations locales. C’est ce que j’ai dit à la ministre : soit cette disposition-là est dans le texte et on a un regard bienveillant, soit elle n’y est pas et dans ce cas-là, on ne votera pas le texte."
Ce genre de négociation peut encore se jouer quand le projet de loi arrive en séance plénière. Ça se passe alors juste à la sortie de l'hémicycle, dans les grands salons ornés de dorures, explique Antoine Vermorel. "Je me souviens par exemple sur le texte pouvoir d’achat, il y a eu quelques suspensions de séances. Souvent ce sont des moments où, politiquement, le sujet est très sensible. On s’est réuni avec le ministre dans les salons pour pourvoir négocier et ensuite décider de notre vote et se positionner en toute clarté." La plupart du temps, le simple citoyen n'a pas connaissance du contenu de cette négociation.
La deuxième lecture, c’est comme si on "retirait un penalty"
Les discussions et la recherche du compromis tant vantée par la Première ministre Élisabeth Borne, ont l'air de bien fonctionner avec la droite, mais beaucoup moins avec la gauche, selon les dires des députés de la Nupes. "Pour l’instant, on l’a malheureusement trop peu éprouvé, déplore l'écologiste Aurélien Taché. Du côté des rangs de la gauche de l’hémicycle, j’ai le sentiment que les députés Les Républicains arrivaient à faire passer beaucoup de choses. C’est moins clair de notre côté pour le moment, mais je ne désespère pas que sur des textes importants comme ceux qui vont arriver sur les énergies renouvelables, nous serons plus entendus. Je le souhaite en tous cas."
Le socialiste Jérome Guedj lui aussi déplore qu'aucune proposition de la gauche ne trouve grâce aux yeux de la majorité.
"À un moment donné, ça va se voir que c’est du marketing politique et pas vraiment un travail de compromis."
Jérome Guedj, député socialisteà franceinfo
S’il convient que "la période est plus intéressante qu’il y a quelques années", le député de la 6ème circonscription de l'Essonne juge qu’"elle reste quand même très cadenassée par ce jeu de la Ve République qui donne tous les pouvoirs à l’exécutif. Je prends un exemple : vous réussissez à faire voter un amendement contre l’avis du gouvernement. Le gouvernement a le droit de demander ce qu’on appelle une ‘deuxième lecture’. C’est comme si vous aviez pris un but au foot et que vous disiez : ‘ben, on va retirer le pénalty’. Et on va mettre trois gardiens pour s’assurer que ce coup-ci, le ballon ne rentre pas." Des outils juridiques qui brident, selon lui, la démocratie.
"Ça prouve qu’on peut trouver sur certains sujets des accords"
Et c'est un peu le même état d'esprit au Rassemblement national, qui se rend à tous les rendez-vous en ministère mais sans se faire trop d'illusions. Le gouvernement se tourne rarement vers lui pour conclure des accords.
Pour le texte du jour, le projet de loi de finances, les ministres de l'Économie et du Budget ont beaucoup consulté depuis un mois, des réunions baptisées "Les rencontres de Bercy". Ces rencontres ont abouti à un texte légèrement modifié, notamment la semaine dernière lors du travail en Commission des finances. "On a voté un dispositif de protection des collectivités territoriales, des amendements qui sont parfois déposés par les oppositions. Il y en a plusieurs de Les Républicains qui ont été adoptés, relate Thomas Cazenave, du groupe Renaissance. Ça prouve qu’on peut trouver sur certains sujets des accords. Après il y a des sujets sur lesquels il n’y aura jamais d’accords. On va continuer ce travail-là au sein de l’hémicycle et ça dépendra aussi beaucoup des oppositions."
La majorité relative renvoie donc la balle aux autres groupes : si le gouvernement est amené à utiliser l'article 49.3 pour passer en force, ce sera l'ultime recours face à un blocage qui risque fort d'arriver car Les Républicains ont répété qu'ils ne voteraient pas ce texte hautement symbolique. Ce serait donner un blanc-seing au gouvernement, avec le risque d'être considéré comme partie intégrante de la Macronie.
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