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Crise climatique : ces scientifiques qui défendent la désobéissance civile "parce qu'il n'y a plus d'autre choix"

Climatologues, écologues ou encore hydrologues, ils estiment que face au péril écologique, la pédagogie a montré ses limites. Ils choisissent donc, non sans bouleversement intime, de bloquer des routes ou d'occuper des bâtiments publics afin d'éveiller les conscience.

Article rédigé par franceinfo - Boris Loumagne - Sébastien Baer
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Elodie et Luc, deux chercheurs niçois, se sont rendus à Berlin (Allemagne) pour participer à des actions de Scientist Rebellion, une association écologiste prônant la désobéissance civile. (SÉBASTIEN BAER / RADIO FRANCE)

Elodie, chercheuse en écologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), et Luc, professeur à l'université Côte d'Azur, font partie de ces scientifiques qui ont décidé de sortir de leurs laboratoires pour entrer en résistance. Les deux scientifiques niçois se sont rendus à Berlin en ce mois d'octobre afin de participer pendant trois jours à des blocages dans la capitale allemande. Des actions devant plusieurs ministères – retransmises sur les réseaux sociaux – visant à mettre la pression sur le gouvernement allemand pour qu'il accentue la décarbonation du secteur des transports. "On est en train d'essayer de bloquer la route, raconte Luc alors qu'il nous montre les images de l'un de ces blocages, assez rapidement, la police va arriver et va venir nous débloquer pendant que nos collègues sont en train de déverser du faux sang"."Moi, je faisais partie de ce groupe-là qui s'est collé au niveau du parvis", ajoute Elodie. Ces actions ont été menées à l'initiative de Scientist Rebellion, un collectif qui regroupe 2 000 scientifiques et qui revendique près de 800 sympathisants en France.

Leur crédo : les rapports, les études, les colloques sur le changement climatique ne suffisent plus. Il faut agir et passer à l'action."Moi, j'ai 58 ans, c'est ma première action de désobéissance civile, explique Luc. Ça montre bien à quel point on considère, en tout cas en tant que scientifique, qu'on a dit tout ce qu'il fallait et que les choses ne bougent en tout cas pas suffisamment. Pour prendre une image, on est un peu dans un autobus qui roule à 100 à l'heure vers un mur. Le scientifique va dire au gouvernement, c'est à dire aux conducteurs, que ça va crasher. Et le conducteur dit : 'Ouais, je vais passer de la cinquième à la quatrième'. Et à ce moment-là, en tant que scientifique, on doit faire en sorte que tous les gens qui sont dans le bus disent : non, là, il faut freiner."

Blocages, actions coups de poing, collage d'affiche, manifestations. Des manifestations non-violentes mais illégales... Et un conflit moral, des questionnements pour ces chercheurs bien intégrés dans la société.

"On n'est pas fier la première fois qu'on se retrouve face à des policiers qui nous demandent de partir, qui nous disent que ce qu'on fait est illégal et dangereux."

Elodie, chercheuse en écologie

à franceinfo

"C'est quelque chose qui est fondamentalement bouleversant, confie Elodie. En fait, on change vraiment de position par rapport au rapport à l'autorité, à la norme et c'est très déstabilisant." C'est "difficile", abonde Luc. "J'ai vécu jusqu'à 58 ans en ayant peur de dépasser le 50 à l'heure sur la route et en me disant : ce n'est pas bien si tu le fais." "On franchit une ligne, clairement, insiste Elodie. On le fait en connaissance de cause. On le fait parce qu'on pense que c'est juste, que c'est légitime, qu'il n'y a pas d'autres choix. Mais malgré tout, on serait bien plus content de pouvoir ne pas avoir à le faire." 

Mettre fin à "une dissonance énorme"

Certains scientifiques vont même plus loin, en estimant que seul le militantisme pourra sauver la planète. C'est le cas d'Anaïs Tilquin, née en Provence, près de Marseille, "avec une magnifique mer en train de crever et des magnifiques paysages en train de cramer", lâche-t-elle. Dans une autre vie, cette trentenaire a été biologiste. Mais désormais elle organise une campagne de résistance civile en Suisse, Renovate Switzerland. Anaïs a par exemple participé à des actions de blocage des routes pour réclamer la rénovation thermique des bâtiments.

Entre la recherche et l'action, la chercheuse a fait un choix. Une question de cohérence et de responsabilité, explique-t-elle : "Imaginez quel message ça envoie au public si vous avez des scientifiques qui écrivent dans des rapports à quel point on est en train de tout perdre et qui, ensuite, restent dans leur carrière et dans leur bureau et dans leur labo à ne rien faire de spécial. C'est une dissonance énorme."

"Les gens perçoivent beaucoup plus les actes que les paroles et s'ils nous voient juste rester là, mollement dans nos laboratoires, alors que les rapports nous montrent à quel point la situation est gravissime, c'est un mensonge à la population."

Anaïs Tilquin, chercheuse

à franceinfo

"Dans le monde de la recherche, poursuit Anaïs Tilquin, on a cette espèce d'idéologie comme quoi c'est possible d'être neutre et objectif et qu'on ne devrait jamais laisser nos émotions entrer en ligne de mire. Mais ce mythe de la froideur scientifique et d'une objectivité possible, il fait pas mal de dégâts, en fait, parce qu'il empêche les gens de s'impliquer". 

Du militantisme à l'engagement politique ?

Cet engagement sur le terrain de la désobéissance civile fait débat au sein de la communauté scientifique. Certains, à l'image du politologue François Gemenne, co-auteur du sixième rapport du Groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), s'interrogent sur l'utilité de telles actions. Selon lui, l'engagement des scientifiques doit prendre une forme plus politique. "Je m'étonne qu'aujourd'hui beaucoup de mes collègues qui disent entrer en rébellion, refusent absolument de s'engager en politique et disent : nous voulons faire pression sur les gouvernements, avance François Gemenne. Mais lorsqu'il s'agit de s'engager concrètement en politique, là, je suis désolé de le dire, mais il n'y a plus personne. Et j'ai été étonné de leur mutisme, par exemple, au moment de l'élection présidentielle où la plupart refusaient de se positionner, se disaient strictement apolitiques. C'est dans ces moments-là, précisément, qu'on aurait besoin, à mon sens, que les scientifiques émettent clairement des préférences."

Engagement politique ou engagement associatif, une chose est sûre, tous les scientifiques que nous avons interrogés le disent, il y a une colère qui monte au sein de leur communauté face à, disent-ils, l'inaction des décideurs politiques sur ce sujet du changement climatique.

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