Cécile, tuée par son ex-mari malgré 22 plaintes et deux condamnations
Le 17 décembre dernier, Cécile Piquet, 44 ans, était tuée par son ex-mari à Domont (Val d’Oise). L'homme était pourtant connu de la justice et de la gendarmerie. Il avait même été condamné à deux reprises dans ce département considéré comme l’un des plus en pointe sur les questions de violences conjugales.
La question hante encore les nuits de celles et ceux qui ont eu affaire à ce dossier : comment Dominique, un habitant du Val d'Oise, condamné, suivi, surveillé pour violences conjugales a-t-il pu passer à l’acte ? Comment a-t-il pu prendre en otage puis tuer avec son fusil, son ex-conjointe, Cécile Piquet, le 17 décembre 2020 ?
"Je l’ai entendu dire à Cécile qu’il la tuerait"
Pour essayer de comprendre ce qui a pu mener à ce féminicide, il faut revenir au début des violences, en 2015. Le couple a trois petites filles, une entreprise qui marche bien et beaucoup de travail. Cécile et Dominique rachètent un restaurant, lui y passe ses journées, parfois ses nuits. Il commence à boire, beaucoup, c’est le temps des premiers coups. "Il était tombé dans un mutisme", racontera Cécile aux gendarmes. "Il m’humiliait, disait que j’étais nulle, une bonne à rien". Un soir de décembre 2017, Dominique rentre furieux à la maison, persuadé que sa femme à une liaison. Il lui frappe la tête sur la table de la cuisine à chaque fois qu’elle dément. Leurs trois filles, à l’étage, entendent tout. "Il y avait du verre partout", racontera l’une d’elles aux enquêteurs.
Un an plus tard, après une nouvelle scène de violence, Cécile décide de s’enfuir. Elle prend ses filles avec elle et se réfugie chez ses parents. Là c’est un nouveau cauchemar qui commence : "Je l’ai entendu dire à Cécile qu’il la tuerait", se souvient son père, Pierre Piquet. "Il la brutalisait, il la battait, il l’insultait, il la blessait."
"On fermait toutes les portes le soir, on ne sortait jamais sans vérifier qu’il n’était pas là. C’était une vie épouvantable".
Pierre Piquet, le père de Cécileà franceinfo
Des menaces d’autant plus terrifiantes qu’il y a ce fusil que Dominique utilise pour chasser le sanglier. Un jour, Cécile retrouve des munitions éparpillées sur le sol de la salle de bain. Elle les amène dans un petit sac à la gendarmerie. Une perquisition est faite au domicile du couple mais on ne retrouve pas l’arme, Dominique promet qu’il s’en est débarrassé et les recherches en restent là.
Mais Cécile ne se décourage pas. Elle va jusqu'à trois fois par semaine à la gendarmerie et multiplie les plaintes et les mains courantes. Elle en déposera 22 au total, dont une dizaine pour violences. En novembre 2019, Dominique est condamné à un an de prison avec sursis. Une peine assez conséquente par rapport à la moyenne sur ce genre de faits. La justice met également en place un suivi pour éviter que les violences ne recommencent. Les juges obligent Dominique à voir un psychiatre, lui interdisent de porter une arme et d'approcher de son ex-femme.
L’angle mort de l’entreprise
La justice prend donc l’affaire au sérieux. Mais il y a une faille dans cette condamnation : Dominique a interdiction d’approcher de son ex-femme sauf, et c'est là tout le problème, au sein de l’entreprise qu’ils dirigent ensemble. La justice considère qu'on ne peut pas empêcher Dominique de travailler et donc d’accéder à sa société. C’est pour ce même motif que les juges refusent à Cécile un téléphone grave danger, et une ordonnance de protection, les deux outils que propose la loi pour protéger les femmes victimes de violences.
L’entreprise devient donc un angle mort et le harcèlement continue. "Il épinglait le chèque de pension alimentaire avec un post-it ‘pour la sale pute’ [dans l’entreprise]. Il refusait que l’on nettoie les toilettes pour femmes, qu’il avait volontairement souillé", raconte l’un des avocats de Cécile, Me Yves Beddouk. Alors la mère de famille fait avec les moyens du bord. À 80 ans son père devient son garde du corps. Il l’amène au travail le matin, la ramène le soir, la suit partout. Sauf le soir du 17 décembre 2020. Ce jour-là, Cécile décide de repasser seule à l'entreprise pour fermer les locaux. Dominique l'attend, un fusil à la main, il tire et blesse gravement deux employés. Il tue ensuite Cécile, et se suicide quelques minutes après.
"Elle n’avait pas l’image de la victime par excellence"
Le soir de la mort de Cécile, Me Maryam Hajji n’a pas dormi de la nuit. Comment Dominique, son client, qu’elle avait eu au téléphone quelques heures avant, avait-il pu passer à l’acte ? Malgré le suivi, personne n’a réussi à détecter la dangerosité de cet homme "acculé", selon son avocate. La question n’a pas de réponse évidente. Mais pour Me Sonia El Midouli, l’une des avocates de Cécile, le problème c’est que l’on évalue la dangerosité de l’homme violent à l’aune de sa victime, de ce qu’elle montre, de ce qu’elle raconte. Or, Cécile était une femme forte, solide, souriante jusque dans les couloirs de la gendarmerie. "On ne voyait pas la peine sur elle, elle ne venait pas en pleurs, avec des hématomes."
"Elle expliquait les choses de manière très rationnelle, et donc peut être qu’elle paraissait un peu froide aux gendarmes. Elle n'avait pas l’image de la victime par excellence"
Me Sonia El Midouli, avocate de Cécile Piquetà franceinfo
À la gendarmerie, les réactions sont donc parfois "très insuffisantes", regrette le père de Cécile. "On nous disait ‘ça va s’arranger, on n’a jamais vu quelqu’un être tué parce qu’il y a une dispute de ménage. Rentrez chez vous, vous ne risquez rien !" Malgré tout, la gendarmerie enregistre et fait remonter 22 plaintes et mains courantes au parquet. Son ex-mari est condamné à deux reprises, en novembre 2019 et en septembre 2020. Mais on ne l’éloigne pas de sa victime, regrette Brigitte Chabert, la directrice de l’association Du Côté des Femmes à Cergy (Val-d'Oise) qui a suivi Cécile pendant plus de deux ans. "C’est quand même la triple peine pour les femmes : elles sont victimes, elles doivent quitter leur logement et en plus si elles ont une entreprise elles devraient la quitter aussi pour se protéger ? Il y a quelque chose qui ne va pas là. La personne responsable de la situation c’est l’agresseur, il faut que l’agresseur soit automatiquement évincé du périmètre de la victime", fulmine Brigitte Chabert.
Chaque acteur du dossier avait un morceau du puzzle
Au sein de l’association Du Côté des Femmes, cette histoire a été un tournant. "Ça change la façon d’accompagner les femmes, ça change vraiment notre travail. Peut-être que si la loi n’avance pas, c’est à nous de faire avancer la loi. On savait qu’il pouvait y avoir passage à l’acte, peut être que l’on n’a pas assez insisté", analyse Brigitte Chabert au bord des larmes. Pour elle, comme pour les avocats de Cécile Piquet, tous les acteurs de ce dossier avaient un morceau du puzzle, mais personne n’a réalisé l’urgence de la situation. On aurait dû "se dire, là il faut qu’avec les personnes qui ont pris la plainte, avec le tribunal, on se retrouve tous autour de cette situation pour l’étudier et voir comment on peut agir".
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Pour le père de Cécile Piquet aussi, l’idée que d’autres femmes puissent mourir comme sa fille est insupportable. "On est dans un État avec des règles, des lois, et des citoyens qui doivent être protégés, on ne peut pas accepter cela", martèle Pierre Piquet. Au tribunal de Pontoise aussi, l’histoire de Cécile a marqué les esprits. Depuis un mois, un magistrat travaille à plein temps pour retracer la procédure, débusquer les ratés, et éviter à tout prix de revivre un jour une nouvelle affaire Cécile Piquet.
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