Migrant : qui est Sophie Djigo, l'enseignante menacée pour une sortie à Calais ?
Sophie Djigo est professeure de philosophie en classe préparatoire au lycée Watteau à Valenciennes. À 40 ans, elle est aussi l'auteure de plusieurs ouvrages sur les questions migratoires et fondatrice d’une association "Migractions 59" qui vient en aide aux migrants de Calais. Epuisée, elle vient de déposer une plainte pour menaces de mort et cyberharcèlement au parquet de Lille.
Ce qui déclenche ces menaces, très violentes (il est question de "viol", de "dépeçage"), ce sont deux communiqués de presse du Rassemblement national et de Reconquête qui lui reprochent de vouloir emmener ses élèves d’hypokhâgne à l’Auberge des migrants à Calais. Elle l’avait pourtant déjà fait en 2021, même si cette année le projet a pris une autre dimension avec un aspect pluridisciplinaire : "C'est une visite d'études qui s'inscrivait dans un projet de recherche très étoffé. On avait mis deux mois à préparer l'année dernière avec ma collègue de culture antique et ma collègue de théâtre, autour du thème : Exils et frontières. On avait commencé à travailler en philosophie sur la citoyenneté, l'Etat, l'Etat-Nation et puis la journée à Calais s'inscrivait aussi sur notre rapport au réel, puisqu'il y a tout un volet du projet qui démarre en janvier, en partenariat avec un théâtre de Valenciennes et avec Hugues Duchêne, qui est metteur en scène. ça ne remet pas en question le reste du projet, mais en tout cas, on a été effectivement obligé de l'annuler par sécurité."
"Par sécurité", le rectorat a fait annuler la sortie de Calais mais a également porté plainte, tout en lui accordant la protection prévue en pareil cas. Le soutien syndical est fort également, et celui d’environ un millier de profs et de chercheurs dans une tribune publiée dans le journal Le Monde du 6 décembre 2022.
Une association fondée en 2018
Cela fait une dizaine d’années que l’enseignante chercheuse s'intéresse à ce sujet des migrants. Elle a grandi en Lorraine, avec un père militaire et une mère assistante sociale. La Lorraine côté rural ! "Je ne suis pas le produit de militants bobo de gauche", insiste-t-elle. Mais elle garde le souvenir de sa mère qui parle aux SDF dans la rue, alors que tout le monde détourne le regard. Et puis, la Lorraine c’est la frontière. Une frontière "vaporeuse", comme elle dit, dans une région où les familles sont tantôt Françaises, tantôt Allemandes, la sienne y compris. Elle en prend conscience quand après sa prépa, à Paris, et ses études de philosophie en magistère à Normale Sup, elle se retrouve à faire des remplacements dans le Nord, notamment à Saint-Omer. On est en 2014-2015 : tous les jours, quand elle prend son train, elle discute avec des migrants. Elle entame une centaine d’entretiens avec eux, sans les ONG, pour recueillir une parole plus libre. Le livre qu’elle en retire Les migrants de Calais - Enquête sur la vie en transit est primé à Nantes et fait du bruit parce qu’il est assez critique y compris sur ce que les migrants décrivent comme une posture parfois humiliante, post-coloniale, des humanitaires.
En dehors de ses cours, Sophie Djigo ne s’en cache pas : elle est engagée dans l’association qu’elle a fondée en 2018. "Migractions 59" regroupe des citoyens de tous bords qui accueillent des migrants le temps d'un week-end. Mais donner des cours de philosophie politique, dit-elle n'a rien à voir avec faire de la propagande. Elle n'a sa carte dans aucun parti, contrairement à ce que laissent entendre les communiqués du Rassemblement nationale et de Reconquête. "Leurs mots exacts dans les communiqués de presse, c'est 'combat idéologique', 'propagande immigrationniste', 'militante pro-immigration'. Et évidemment, ça me vise en tant que professeur, ce qui est très grave parce qu'on sait très bien qu'un professeur n'est pas un idéologue, il n'a absolument pas à faire interférer ses opinions politiques personnelles dans un cours."
Vous l'aurez compris, les menaces de mort, ne viennent pas dans des communiqués eux-mêmes mais de certains sites qui les ont partagés. Elle les connait bien pour avoir travaillé sur eux dans le livre Les Migrants de Calais justement. Elle cite "riposte laïque" ou encore "Fde souche" qui, explique-t-elle, déclenchent ces menaces. "Il faut que l'institution protège l'enseignement et la recherche de manière très claire", demande-t-elle avec force. Depuis quelques jours, Sophie Djigo reçoit aussi des messages d'enseignants qu'elle ne connait pas, qui s'inquiètent de ne plus pouvoir faire leur métier. Des professeurs d'histoire harcelés par des parents par exemple quand ils enseignent l'Islam ou la Shoah.
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