La République et la controverse Dieudonné
Oui,
même si la démarche fait débat. Le ministre de l'intérieur pouvait-il agir
autrement ? Il le fait déjà en s'attaquant au business de l'humoriste, en
voulant le frapper au portefeuille pour ses condamnations impayées. Mais l'essentiel est
ailleurs. Dieudonné, passé maitre dans l'art de la provocation, a mis la barre
très haut, avec ses déclarations répétées à caractère ouvertement antisémite,
et a poussé le pouvoir politique à agir, au risque de faire de l'agitateur un
martyre médiatique.
Il est
vrai qu'il est difficile d'interdire un spectacle avant même qu'il n'ait eu
lieu. Le principe, liberticide, reste contraire à nos valeurs démocratiques.
Mais dans la réalité, dans les faits, les limites de l'insupportable ont été franchies depuis longtemps par cet
ancien humoriste, particulièrement doué, devenu au fil des ans un antisioniste autoproclamé,
qui n'en finit plus, dans ses sketches et dans ses clips en libre service sur
le Net, de regretter l'existence des chambres à gaz et de transpirer la haine
contre les juifs en général. Ce qui relève de l'apologie de crimes contre
l'humanité, passible de lourdes amendes voire de peines prison devant les
tribunaux. Jean-Marie Le Pen, l'un des éminents supporters de Dieudonné, qui a
trainé pendant un quart de siècle son calembour sur Michel Durafour, fait
figure d'amateur.
Est-ce qu'en parler, comme vous
le faites ce matin, c'est faire de la
pub à Dieudonné ?
Bien
évidemment, oui, et l'intéressé en joue avec un certain talent. Mais se taire
serait un pire remède. Prenez ce cliché qui a fait le tour du Net : l'adepte
de la " quenelle " se faisant prendre en photo devant un camp de
concentration avait-il conscience de la portée de son geste ? Aurait-il
apprécié un aller simple en wagon de marchandises pour Auschwitz ? Dieudonné
n'a rien de comique quand il convoque sur scène son "ami" Robert
Faurisson, l'icône du négationnisme en France. Le public qui se gondole devant
un duo aussi improbable sait-il à qui il a affaire ? Si la réponse est
non, un peu de pédagogie s'impose. Si la réponse est oui, alors c'est grave.
Ceux qui s'interrogent, à juste titre, sur l'excessive publicité faite autour
de ce phénomène, et s'offusquent pour l'atteinte manifeste portée à la liberté
d'expression, ont un train de retard. Pardon pour le jeu de mot morbide.
C'est le seul sujet de
préoccupation aujourd'hui en France ?
Non,
mais sa valeur symbolique est forte et le bras de fer se joue en ce
moment-même. La question est de " savoir à quel moment la République
doit-elle s'interroger ou se mobiliser, si elle ne le fait pas quand la mémoire
est ainsi bafouée. La France est à la fois la patrie des Droits de l'Homme et
celle qui sous Jacques Chirac a reconnu sa responsabilité dans la déportation
des juifs. Dieudonné, dans une très sérieuse interview donnée à une chaine de
télé iranienne francophone, explique que le problème dans notre pays est que les jeunes apprennent l'Histoire dans
les manuels publiés par le "sioniste Fernand Nathan" . Nous ne
sommes plus sur le terrain de l'humour, mais sur celui d'un combat politique haineux,
clivant, vissé à l'extrême droite pure et dure. Ce délire devient un problème
plus large quand il menace de remplir des zéniths. Il est possible que la
justice en référé autorise au final les spectacles de Dieudonné. Si tel est le
cas, l'action menée aura eu le mérite de donner un éclairage précis sur la nature,
la réalité de son message, et faire réfléchir à deux fois ceux qui n'y voient
que la seule expression d'un humour potache et antisystème.
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