Tech : "Si les Européens n'achètent pas européen, personne ne le fera à notre place", affirme la directrice de France Digitale

L'UE a approuvé mercredi l'IA Act, la législation sur l’intelligence artificielle qui garantit la sécurité et le respect des droits fondamentaux tout en encourageant l’innovation. Maya Noël, directrice générale de France Digitale, vient nous faire part de son analyse sur la situation européenne.
Article rédigé par franceinfo
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Maya Noël, directrice de France Digitale. (RADIOFRANCE)

Maya Noël est à la tête de France Digitale, association qui regroupe des start-up très connues comme Back Market et Brut, ou très prometteuses comme Pasqal, spécialisée dans l'informatique quantique. Après l'IA Act, validé mercredi 3 avril par le Parlement européen, pour réguler l'intelligence artificielle, le ministère de l'Économie a annoncé jeudi le lancement d'un appel à projets de plusieurs dizaines de millions d'euros, pour développer des applications basées sur l'IA générative.

Maya Noël : C'est déjà une excellente nouvelle. Si on veut développer un usage cohérent, intelligent auprès de la majeure partie de la population sur l'IA générative, il faut effectivement un financement. Mais financer la technologie, ça ne suffit pas. Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'intelligence artificielle appartient à une filière. Derrière l'usage qu'on en fait quand on parle de ChatGPT, il y a des matières premières qu'on va extraire pour pouvoir construire des circuits intégrés. Il y a ensuite toute l'infrastructure, à savoir les réseaux, les câbles sous marins... Et tout ça, c'est ce qui capte la grosse valeur derrière l'intelligence artificielle.

franceinfo : Et ces acteurs ne sont pas européens ?

Il existe des acteurs européens. D'ailleurs, c'est ce qu'on peut trouver dans une étude qu'on a publiée cette semaine, sur la chaîne de valeur de l'IA générative. Il y a des acteurs européens qui existent à chacun des niveaux de cette chaîne de valeur. Néanmoins, si on regarde la partie infrastructure, c'est clairement une position de quasi monopole des acteurs américains et sur la partie basse, donc les circuits intégrés, on sait que l'acteur Nvidia aujourd'hui a une capitalisation boursière qui dépasse tout le CAC40 réuni.

Pour revenir à la question du financement, un rapport remis le mois dernier à l'Elysée estimait qu'il fallait investir cinq milliards d'euros par an, pour espérer concurrencer les États-Unis et la Chine. Au lieu des quelques dizaines de millions d'euros seulement en France.

C'est le volet investissement. Mais l'investissement ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est une véritable volonté politique de développer toute la filière. Nous, c'est ce qu'on essaye de pousser. On a sorti un manifeste européen à destination de tous les décideurs publics. On a rencontré toutes les têtes de liste, on rencontre les députés, on rencontre les commissaires, juste avant les élections européennes, qui vont être un moment, je pense, ultra stratégique pour la politique en faveur de l'innovation.

Donc il faut cette volonté là. Et oui, l'investissement ne suffit pas. 

"Ce dont ont besoin nos startups, nos entreprises, ce sont des commandes, des commandes publiques et des commandes privées."

Maya Noël

à franceinfo

Donc ça passe notamment par une préférence européenne. Vous défendez l'idée d'un bail European Tech Act. En gros, favoriser les achats technologiques européens, que ce soit les acteurs publics ou les acteurs privés.

Tout à fait. Parce que ce qu'on voit dans les faits, c'est que les Américains ont favorisé l'achat de produits américains. Il en va de même pour les Asiatiques. Et si les Européens n'achètent pas européen, personne ne le fera à notre place.

En même temps, on voit que Mistral AI, start up dont j'ai reçu le patron ici à votre place, a été obligé de nouer un partenariat avec Microsoft. Ça montre bien qu'on est dépendants des Américains.

Il y a une situation de dépendance mais il n'est pas trop tard pour en sortir. Le partenaire de Mistral, est un partenaire commercial non exclusif, donc il se sert de Microsoft pour pouvoir se déployer à plus grande échelle. Et c'est malin de le faire. Et c'est plutôt bon signe de savoir que des gros acteurs américains sont d'accord.

Alors avec l'IA Act, l'Europe est le premier continent à réguler l'intelligence artificielle, notamment générative. Le commissaire européen Thierry Breton dit qu'on oblige ainsi les acteurs de l'IA, notamment américains, à se conformer à nos règles. Est-ce que vous êtes d'accord ?

Je suis d'accord que la philosophie derrière l'IA Act est très bonne. Ce que veut ce texte, c'est faire en sorte que l'usage qui est fait de l'intelligence artificielle soit un usage qui respecte la société, qui respecte l'environnement. Voilà, on pose le cadre.

Néanmoins, il y a la loi du marché. Et si en fait, les seuls acteurs qui se développent sont des acteurs étrangers qui décident de ne pas respecter nos règles, ça ne fonctionnera pas. Donc je pense que l'IA Act est très défensif, néanmoins il pose le cadre, et on peut en être fier. Mais ça impose quelques contraintes économiques à nos acteurs. Et ces contraintes avant d'être offensif dans le déploiement de nos entreprises, peuvent nous mettre un peu en retard.

Et ça vous inquiète ?

On a une puissance réglementaire et c'est très bien, ça pose le cadre, mais si on ne fait que réguler et qu'on innove pas derrière, ça ne sert à rien.

On a différentes nations, notamment la France, qui prouvent qu'elles sont capables d'innover et il y a des beaux écosystèmes qui émergent. Mais le marché seul de la France, c'est 60 millions d'habitants. L'Europe, c'est 450 millions. Les Etats-Unis, c'est 300 millions. Il faut qu'on joue au niveau européen. 

"Le marché unique européen aujourd'hui n'existe pas véritablement. Il faut qu'on arrive à jouer plus collectif."

Maya Noël

à francienfo

Et si vous aviez un message à passer aux candidats aux élections européennes qui arrivent début juin?

Soyons offensifs et n'ayons pas peur d'innover. Cela passe par cette commande publique et privée qui doit être absolument fléchée vers des acteurs européens, avec des quotas par exemple. Le réseau européen n'existe pas encore véritablement parce qu'il y a en fait une concurrence nationale entre les pays, mais on sent que les choses sont en train d'évoluer.

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