"Nous épargnons par précaution, essentiellement par peur de l'avenir", selon l'économiste Philippe Crevel

L'épargne des Français bat des records en 2023. Philippe Crevel, le directeur du Cercle de l'épargne est l'invité éco de franceinfo, mercredi.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
L'économiste Philippe Crevel, le 31 janvier 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Les Français ont placé des montants records sur le livret A et le livret d'épargne populaire (LEP) en 2023. D'un autre côté, l'inflation ralentit nettement, mais elle est toujours là, selon les derniers chiffres publiés par l'Insee, mercredi 31 janvier. Les prix à la consommation ont augmenté de 3,1% sur un an, en janvier.

Pour Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'épargne, "les Français, historiquement, sont des épargnants".

franceinfo : Quel impact un ralentissement de l'inflation peut-t-il avoir sur le comportement des Français en matière d'épargne ?

Philippe Crevel : Logiquement, si tout se passe bien et comme l'inflation recule, les Français vont avoir plus confiance dans l'avenir, vont reprendre le chemin de la consommation. Parce qu'il faut se dire que ces derniers mois, ces dernières années, les Français se sont restreints en consommation pour justement épargner davantage. Donc nous pouvons espérer le chemin inverse : l'inflation baisse et il y a un peu plus de consommation. Et ce sera bon pour notre croissance qui a été faible au dernier trimestre 2023, proche de zéro. Donc on peut espérer un peu mieux dans les prochains mois.

Quels comportements les Français ont-ils, globalement ? Ont-ils une tendance à être "fourmi" même quand l'inflation recule ?

Les Français sont des fourmis, comme les Allemands, au sein de l'Europe. La France arrive en deuxième position.

"Le taux d'épargne des ménages en 2023 tourne autour de 17-18% du revenu des ménages."

Philippe Crevel

sur franceinfo

Ça veut dire que près d'un cinquième de ce que nous recevons, en revenus, est mis de côté. C'est une moyenne, évidemment, car les Français modestes n'ont pas les moyens d'épargner.

Comment explique-t-on cette prudence ?

Il y a des traditions, il y a de l'histoire. Historiquement, les Français sont des épargnants, comme les Allemands et à la différence des Américains qui consomment quoi qu'il arrive. Nous épargnons par précaution, essentiellement par peur de l'avenir. Et depuis la crise sanitaire, les Français mettent beaucoup d'argent de côté dans cette fameuse "cagnotte". Ça a été la cagnotte Covid, puis la cagnotte inflation. Ça montre qu'on a peur de l'avenir. Quand on pense qu'on ne pourra pas faire face à ses dépenses, on met de l'argent de côté. Et puis évidemment, il y a d'autres raisons pour lesquelles on met de l'argent de côté. La préparation de la retraite, par exemple, 72% des Français, selon une étude Ifop, craignent pour leur pouvoir d'achat à la retraite. Qu'est-ce qu'ils font ? Ils mettent de l'argent de côté pour leur future retraite en se disant que ça permettra d'améliorer les pensions, qu'on imagine un peu en baisse dans les prochaines années du fait des réformes.

Les Français ont placé des montants records sur le livret A et le livret d'épargne populaire, y compris au mois de décembre, pourtant traditionnellement propice à la consommation. Quel niveau d'épargne a-t-on atteint ?

C'est vrai qu'en 2023, ça a été des niveaux records.

"Plus de 28 milliards d'euros sur le livret A, ça n'avait jamais été enregistré, c'est un record absolu."

Philippe Crevel

sur franceinfo

Et le livret d'épargne populaire (LEP) : plus de 20 milliards d'euros. C'est lié à plusieurs facteurs. Son taux de rendement était de 6% en 2023, et même s'il baisse au 1er février à 5%, c'est rendement élevé. D'autre part, il y a eu le relèvement du plafond. Avant, le plafond du livret d'épargne populaire, c'était 7 700 euros et maintenant c'est 10 000 euros, donc ça a influencé les Français. Pour le livret A, le rendement était plus faible : 3%, c'était en dessous de l'inflation qui était de 4,9% en 2023. Pourtant, les Français ont mis l'argent dessus parce qu'ils ont regardé ce qu'il y avait sur le marché et le livret A était compétitif. Et ils avaient raison. Il valait mieux mettre de l'argent sur le livret A que de le laisser dormir sur leur compte courant, parce que là, ils perdaient évidemment 4,9%.

Le taux du livret A va rester à 3% avec un gel prévu jusqu'en 2025. Le taux du livret d'épargne populaire passe de 6 à 5%. Quel regard portez-vous sur ces décisions ?

Évidemment une baisse du taux de rendement, ce n'est jamais une bonne nouvelle, parce que l'épargne est moins bien rémunérée. Après, c'est la conséquence, pour le livret d'épargne populaire, de la diminution de l'inflation, parce qu'en fait le taux du LEP est fonction de l'inflation. Et donc il prend en compte cette bonne nouvelle, quand même, pour l'ensemble des ménages, qui est que la hausse des prix décélère dans le pays. Pour le Livret A, c'est une décision qui avait été prise l'année dernière, par Bruno Le Maire. Dans un premier temps, vous êtes perdant parce que l'inflation est supérieure. Et c'est vrai qu'en 2023, l'inflation c'était 4,9% alors que le livret A, c'était 3%. Mais ça va s'améliorer.

"Ça a mis un peu plus de temps que prévu, c'est vrai, mais en 2024, logiquement, l'inflation va passer en dessous des 3%."

Philippe Crevel

franceinfo

Donc il y aura un rendement réel positif avec le Livret A. Cela veut dire qu'on va gagner, par rapport à l'inflation, de l'argent avec son livret A. Et ça, c'est plutôt une bonne nouvelle. Il faut espérer que ça se passe ainsi.

Il y a un raisonnement qu'on entend souvent : l'épargne peut peser sur la consommation. Mais pour vous, il ne faut pas opposer épargne et consommation ?

Il faut éviter cette opposition un peu stérile. Évidemment que l'épargne, c'est une renonciation à la consommation et que la consommation, c'est un moteur important de la croissance. Mais pour qu'il y ait de la croissance, il faut aussi qu'il y ait de l'investissement. Des investissements de la part des entreprises, des investissements des administrations publiques en matière d'infrastructures pour construire des centrales électriques, pour construire des écoles. Et derrière cela, c'est quoi ? C'est de l'épargne. C'est elle qui permet de financer des investissements, que ce soit sous forme de fonds propres ou sous forme d'obligations. Et donc c'est très important qu'il y ait de l'épargne en France. Et d'ailleurs, pourquoi nous sommes bien notés par les agences ? C'est parce qu'il y a beaucoup d'épargne dans notre pays.

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