Loi immigration et métiers en tension : "Si l'individu travaille, il trouvera sa bonne place dans la société", assure Saïd Hammouche, de Mosaïk RH
Après avoir examiné 49 des 86 articles du projet de loi immigration, le Conseil constitutionnel a largement censuré le texte, dans une décision rendue jeudi 25 janvier. Il a notamment censuré le durcissement de l'accès aux prestations sociales, au regroupement familial, ou encore l'instauration d'une "caution retour" pour les étudiants étrangers. Le Conseil estime que, pour 32 articles, ces mesures n'avaient pas leur place dans le périmètre du projet de loi.
franceinfo : Saïd Hammouche, vous êtes le fondateur de Mosaïk RH, cabinet de recrutement spécialisé dans la diversité et l'égalité des chances. Plus d'un tiers des articles du projet de loi immigration ont été censurés, pour n'avoir rien à faire dans ce texte, selon le Conseil constitutionnel. Quelle est votre première réaction ?
Saïd Hammouche : C'est un texte de loi qui a été commenté, débattu pendant de nombreux mois. On s'est beaucoup éloigné en fait, des faits réels. La domination de la subjectivité a été massive dans ce débat-là. Je pense qu'il faut revenir sur des choses beaucoup plus factuelles, beaucoup plus rationnelles. On voit qu'aujourd'hui, en France, la question de l'immigration est stratégique d'un point de vue économique et si on ne regarde pas ça, on va faire plaisir aux uns, mais on va à la catastrophe économique au plan français et ça, c'est important de l'avoir en tête.
Le durcissement de l'accès pour les étrangers aux prestations sociales a été également censuré.
Oui. Il faut se rendre compte qu'il y a beaucoup de travailleurs immigrés qui travaillent, qui ont une fiche de paye à la fin du mois, qui cotisent et qui contribuent en fait au système de protection sociale. Vous savez combien ça rapporte à l'État aujourd'hui ? C'est plus de 1,3 % du PIB français. Donc on a en fait des travailleurs qui ne sont pas reconnus, mis à part au moment qu'ils cotisent. Derrière leur rémunération, ils ne jouissent pas de ces cotisations sociales. C'est un système aujourd'hui qui tourne, qui marche, et dont la France a besoin. On a besoin de travailleurs immigrés pour pouvoir faire tourner nos entreprises. Si on prend le secteur de l'industrie, c'est entre 100 000 et 200 000 besoins en compétences. Si on ne les trouve pas, encore une fois, ça va être un drame économique.
Les articles sur les métiers en tension ont été maintenus dans le texte. Sur le réseau social X, l'ancien ministre du Travail, Olivier Dussopt, se félicite de la validation des articles concernant l'intégration par le travail. Vous aussi, vous vous en félicitez ?
Je pense que c'est un sujet. Évidemment, il faut aujourd'hui mettre un certain nombre de mesures pour pouvoir accompagner ces populations dont la France, encore une fois, a besoin.
Les travailleurs sans papiers des métiers en tension comme la restauration ou le bâtiment ne devront plus passer par leur employeur pour demander une carte de séjour. Ce sera à la discrétion des préfets. Est-ce que c'est suffisant ?
Ce qu'attendent finalement les restaurateurs, c'est trouver des compétences pour pouvoir faire tourner les restaurants. Vous savez, si on n'a pas suffisamment aujourd'hui de main-d’œuvre pour pouvoir gérer les cuisines, faire le service, traiter toutes les problématiques d'un restaurant, le restaurant va fermer. Il n'y aura plus assez de services, on n'aura plus la possibilité de faire garder nos enfants...
Vous qui êtes à la tête d'un cabinet de recrutement, vous vous rendez compte effectivement qu'il manque énormément de personnes compétentes dans ces métiers ?
Il n'a échappé à personne qu'on était en face de tensions, parce que tout simplement on est en mutation : mutation numérique, transition écologique... Ce sont des nouveaux métiers sur lesquels il va falloir se former, trouver des compétences. On doit accompagner ça. Aujourd'hui, France Travail, c'est une bonne nouvelle pour réfléchir à des nouvelles dynamiques, qui peuvent rapprocher l'offre et la demande et permettre à des salariés, notamment des immigrés sans papiers, d'être mieux connectés avec le monde économique. Si l'individu travaille, je peux vous dire qu'il trouvera sa bonne place dans la société. Il sera reconnu. On le reconnaîtra d'abord comme celui qui offre un service utile au quotidien.
En avril dernier, avec d'autres personnes, vous demandiez la mise en place d'une convention citoyenne sur l'immigration, comme il y en a eu une sur le climat ou sur la fin de vie. On est quasiment un an après tous les débats dont on vient de parler. Est-ce qu'aujourd'hui, selon vous, on peut avoir un débat apaisé sur l'immigration en France ?
C'est justement la volonté. J'ai la chance aujourd'hui de siéger au Conseil économique et social. C'est un espace de réflexion, de discussion, où on peut pousser des analyses profondes. Par exemple récemment, on s'est rendu compte qu'aujourd'hui, dans les quartiers de la politique de la ville [QPV, des quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville], on a encore un problème de chômage profond. Le taux d'emploi dans les quartiers politiques de la ville est de 20 points inférieur par rapport à la moyenne nationale. Ce sont des éléments statistiques qu'on ne fait pas souvent remonter. On entend par exemple que le chômage recule de 0,4 %, c'est une bonne nouvelle. En revanche, le chômage des jeunes continue à poser un problème et le chômage dans les quartiers n'a pas bougé d'un iota. Donc on a toujours des chiffres explosifs. Et la solution existe. Il faut écouter ces secteurs d'activité, ces recruteurs qui ont besoin de trouver les compétences. Il faut mettre en place des méthodes qui permettent de rapprocher l'offre et la demande, maîtriser ces biais cognitifs, être un peu plus dans l'ouverture sociale. Si on est un peu moins dans le stéréotype lié aux populations immigrées, on progresse et on fait du bien, encore une fois, à l'économie.
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