Inégalité salariales hommes-femmes : "Il faut pousser les filles, retenir les garçons et on y arrive bien", confie la présidente de l'agence de publicité BETC
Mercedes Erra est fondatrice et présidente de BETC, première agence de publicité française. Elle est également engagée pour l'égalité femmes-hommes, par exemple avec le collectif Sista qui cherche à réduire les inégalités de financement entre les femmes et les hommes entrepreneurs. Nous sommes en 2024 et d'après les derniers chiffres, publiés cette semaine, de l'INSEE sur les inégalités salariales dans le privé, les femmes gagnent 24 % de moins que les hommes.
Mercedes Erra : D'abord, il ne faut pas désespérer. Ça bouge difficilement pour plein de raisons. D'abord, les femmes ont une double vie, les hommes un peu moins. Les femmes s'intéressent à la vie familiale, prennent en charge les parents, les enfants... On a beau dire que les hommes bougent, ça va lentement. Et ce n'est pas que dans la tête des hommes, c'est aussi dans la tête des femmes. Ce n'est pas une histoire d'hommes qui refusent, c'est une histoire de stéréotypes, de choses compliquées dans la tête des femmes.
Elles prennent du temps partiel, donc il y a un enjeu de volume du travail, mais à égalité de temps de travail, elles ont quand même 15 % de moins que les hommes. Donc là, ça s'explique par le fait qu'elles ne montent pas au plus haut niveau.
"Les femmes montent moins haut, il y a un plafond. Et le plafond de verre n'est pas uniquement imposé par les hommes, c'est aussi une question de stéréotypes"
Mercedes Erraà franceinfo
Quelle est l'ambition combative on transmet pour les petites filles ? Comment on les éduque ? Comment on leur explique que tout est possible, qu'on ne met pas en cause sa vie privée parce qu'on réussit une vie professionnelle ? Des choses de cet ordre-là.
Vous, chez BETC, quelles sont vos politiques en la matière ? Est-ce que vous surveillez l'état d'esprit de vos collaborateurs ?
Oui, on a tout surveillé. Moi j'aime bien les labels, les index et ce genre de choses, parce que ça oblige à compter. Quand j'ai commencé, je me suis dit que ça allait être facile pour moi. Ben non, ce n'était pas si facile. On voyait quand même des indicateurs plus fragiles. À l'embauche, on n'a pas de mal pour les filles, qui viennent beaucoup dans la com. La com, c'est pas pour les garçons, donc on a des quotas en faveur des garçons ! Ensuite, quand ça monte, ça se complique, les filles traînent un peu plus et elle ne traîne pas parce qu'elles sont moins bonnes, mais parce que finalement, elles manquent un tout petit peu de confiance. Donc il faut pousser.
"Moi je dis toujours qu'il faut pousser les filles, retenir les garçons et on y arrive bien."
Mercedes Erraà franceinfo
Et donc maintenant, il y a plus de femmes dans le Comité exécutif, on est à égalité.
Vous êtes favorables aux quotas obligatoires ?
Oui complètement. C'est une évidence pour moi. Les femmes n'étaient pas dans les conseils d'administration, on n'y était pas du tout ! On a mis des quotas. Maintenant, ils sont tous fiers en disant qu'on y est. Ben oui, évidemment, il y a eu des quotas. Mais il ne faut pas s'angoisser. C'est normal, le monde était dominé par les hommes. Désormais on met des quotas. Avant, il y avait des quotas, mais exclusivement masculins. Ce n’est pas grave.
Vous êtes patronne d'une agence publicitaire. La publicité véhicule parfois des stéréotypes de genre. Est-ce qu'elle a été changée ?
Elle a beaucoup changé. En fait, elle ne change pas pour faire le bien, elle change parce que son public change. Et en règle générale, on ne veut pas énerver les gens, car ils n'achètent pas quand ils sont énervés. Mais on est suivi.
"La publicité, c'est un des lieux les plus droits, parce qu'on est surveillé."
Mercedes Erraà franceinfo
Il n'y a pas grand-chose qui est surveillé aujourd'hui. Les réseaux sociaux, ce n'est pas surveillé. Même vous, votre parole est plus libre que la mienne. Moi j'ai d'un côté l'ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) et de l'autre côté les fraudes : vous ne pouvez pas dire n'importe quoi sur les produits. Côté ARPP, l'image de la femme c'est important. Les derniers chiffres publiés sont très favorables. En fait, la pub est en avance par rapport à la réalité. On ne montre quasiment plus de femmes qui font le ménage. On montre même des choses qui ne sont pas vraies, c'est-à-dire plutôt des hommes, mais parce que la pub est toujours un petit peu nécessairement en avance. Parce que même si ce n’est pas vrai, même si une femme continue à faire tout, elle aime l'idée que ça va changer. On montre aussi les femmes scientifiques bien plus nombreuses que leur réalité.
Vous êtes-vous déjà dit pendant votre carrière que ça aurait été plus facile si vous aviez été un homme ?
"Oui, j'ai pu penser que ma carrière aurait été plus facile si j'avais été un homme, mais je m'en fichais éperdument parce que je voulais être une femme."
Mercedes Erraà franceinfo
Ce qui est bien, c'est que le monde change, que les femmes changent et que les hommes changent. Les femmes, elles, ont intérêt à gagner en audace, on ne va pas se laisser faire. Et les hommes peuvent avoir ce caractère de la femme dans le concret, dans le fait de s'occuper de sa famille. Je n'imagine pas un homme qui ne fait pas la même chose. Je pense qu'au milieu on va avoir un monde meilleur, plus intéressant.
La société bouge, mais lentement. Je vous donne un exemple. Je ne peux pas expliquer autrement les dix points de stress que je trouve chez les femmes, chez BETC, par rapport aux hommes. Leur vie est plus compliquée.
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